Nos  souvenirs de lycéens nous renvoient à cette fameuse « madeleine »  de Proust, morceau d’anthologie littéraire incontournable à  l’évocation de cet écrivain célèbre. Le chanteur Dave a quant à  lui, dans les années 70, contribué à populariser avec sa chanson «  Du côté de chez Swann » une œuvre intemporelle. Mais qui était  donc Valentin Louis Georges Eugène Marcel Proust ? «  À la recherche du temps perdu », son œuvre maîtresse, donne  certes des éléments de réponse mais l’écrivain affirme qu’il  s’agit simplement d’un roman, d’une fiction, même si cette  invention est appelée par l’auteur la  stylisation du réel, qui caractérise l’œuvre d’art…
               
			   Asthme  et... bénéfices !
			   
               Lorsque  Marcel Proust naît, dans le XVIème arrondissement de Paris  (autrefois appelé quartier d’Auteuil) le 10 juillet 1871, ses  parents craignent qu’il ne survive pas, tant il paraît fragile.  Marcel est asthmatique et le restera toute sa vie. Sa mère, Jeanne,  femme de grande culture et issue de la bourgeoisie parisienne,  l’entoure et le surprotège. Une relation de dépendance mutuelle  qu’elle entretiendra toute sa vie et dont l’adolescent, puis  l’homme, ne se défera jamais réellement. Dans le fameux Questionnaire  de Proust qui  fera plus tard des émules, le futur écrivain note que son plus  grand malheur serait d’être séparé de sa mère. Quant à son  père, Adrien, il est ce que l’on appelle aujourd’hui un self  made man.  Issu d’une famille plutôt modeste, il devient professeur agrégé  de médecine, puis conseiller du gouvernement en matière  d’épidémies. Le jeune Marcel, de santé précaire, bénéficie  donc d’une quasi adoration parentale. Bien que souvent absent, il  est inscrit au lycée Condorcet et se révèle d’une intelligence  supérieure. Il se passionne notamment pour la littérature. Victor  Hugo, Alfred de Musset, n’ont aucun secret pour lui et il connaît  leurs œuvres par cœur. Le jeudi, il joue dans les jardins des  Champs Élysées avec Antoinette et Lucie Faure, filles du futur  Président de la République. Pendant ces années sans soucis -  hormis ses graves crises d’asthme -, ses amis se nomment Jacques  Bizet, Fernand Gregh et surtout Daniel Halévy avec qui il écrit  dans la revue littéraire du lycée.
			   
               Une  vie mondaine
               
               Ses  études secondaires achevées, Marcel Proust effectue son service  militaire à Orléans. Puis il rentre à la Sorbonne et devient  licencié ès lettres en mars 1895. N’ayant aucune difficulté  financière, le futur écrivain fréquente assidûment les salons  artistiques mondains et les endroits élégants au point que circule  à son propos l’appellation : le « Proust du Ritz » ! Il écrit  quelques chroniques pour la presse mais il puise, surtout dans ce  milieu élitiste, la substance de son inspiration quant aux  personnages de romans qui prendront forme dans la deuxième partie de  sa vie. Ainsi, le très snob Charles Haas sera son modèle lorsqu’il  imaginera la figure de Charles Swann dans le premier volume d’« À  la recherche du temps perdu », Madame André Maurois devenant la  duchesse de Saint-Loup, petite-fille de son héros. On parle beaucoup  de ce jeune homme singulier qui attire par sa physionomie. Son  regard est fascinant,  témoigne le Marquis de Lauris, son  visage très pâle contraste avec la noirceur de sa chevelure.  Mais c’est surtout par sa façon unique de s’adapter à toutes  les conversations et de s’intéresser à son interlocuteur que  Marcel Proust séduit. Aux dires de tous ceux qui le côtoient, même  si le mot snobisme revient souvent, personne n’est indifférent au  mystérieux magnétisme qui émane de lui. Bien qu’il ait déjà  publié « Les Plaisirs et les jours » (1896) et traduit « la Bible  d’Amiens » de John Ruskin (1904), il est à cette époque-là  quasiment inconnu en tant qu’écrivain.
               Sous  une frivolité apparente, tout en continuant à s’intéresser aux  gens du monde et à les recevoir chez lui, Marcel Proust aiguise son  regard, élaborant l’œuvre qui le rendra célèbre pour la  postérité. Il se montre passionné par la filiation des grandes  familles. Il écrit en secret les premières pages d’un livre dont  le style inaugure le roman moderne, cherchant à sonder l’âme  plutôt qu’à raconter une intrigue. Il se lance en fait dans  l’exploration de son propre psychisme. Lorsqu’il se rend sur les  plages à la mode, séjournant au Grand Hôtel de Cabourg, il passe  des heures simplement à observer les gens, même les grooms. Son  ouvrage futur, « À l’ombre des jeunes filles en fleur » (1918),  est imprégné de ces périodes de solitude contemplative qui le  renvoient sans cesse à son passé. Il se plaît également en la  compagnie d’artistes tels Renoir, Rodin et Jean Cocteau qu’il  reçoit souvent le soir au 102 Boulevard Haussmann.
               
               Maladie,  persévérance et sublimation
               
               En  1903, Marcel Proust perd son père, puis deux ans plus tard sa mère.  Il s’agit d’un moment crucial pour l’homme et l’écrivain. Sa  santé déjà très fragile se détériore peu à peu. N’avait-il pas dit  des années auparavant que la séparation d’avec sa mère serait  une véritable déchirure ? À partir de 1907, il engage comme  chauffeur Alfred Agostinelli qui devient son secrétaire en 1912. C’est  l’être que j’ai le plus aimé après ma mère,  confie Proust lorsqu’Alfred meurt dans un accident d’avion en mai  1914. Proust est homosexuel et un des premiers romanciers européens  à traiter ouvertement de ce sujet. C’est à partir de l’âge de  40 ans que Marcel se retire peu à peu du monde et entame un fabuleux  travail d’écriture. Marcel Proust sait qu’il est destiné à  devenir un grand écrivain. Désormais, il va vivre essentiellement  pour son œuvre. Porte fermée, Proust travaille d’arrache-pied.  Plus de deux-cents personnages se mettent à exister sous sa plume.  Il corrige, retranche, ajoute des pages collées que sa fidèle  gouvernante Céleste Albaret, après la mort d’Alfred, a la charge  de remettre en forme. La particularité du style de Proust réside en  des phrases extrêmement longues, comme s’il voulait maîtriser le  temps. Phrases qui contrastent avec ses crises d’asthme lorsque son  souffle devient court et lui fait craindre la mort à tout moment !  Proust parle comme il écrit : Des  phrases pleines d’arborescences qui ressemblent à des chemins de  montagnes qu’on gravissait sans jamais arriver au sommet,  commente Paul Morand, diplomate attaché au cabinet d’Aristide  Briand, auprès de qui il s’enquiert du déroulement de la guerre à  laquelle il ne peut participer à cause de son état de santé.  Contraste saisissant chez cet homme se traînant de son lit au bureau  mais capable d’une puissance de travail phénoménale ! Tout son  être - y compris son symptôme - est désormais mis au service d’une  œuvre introspective qu’il veut aussi philosophique. Pour Proust,  l’amour et l’amitié n’existent pas. L’Homme est  fondamentalement seul et doit l’accepter. Il s’agit d’une telle  certitude pour lui qu’il ne supporte pas que son ami, l’écrivain  Emmanuel Berl, nouvellement fiancé, le contredise. Après des heures  de discussion, à bout d’arguments, Marcel Proust lui jette ses  pantoufles à la figure et le chasse en lui disant qu’il est «  bête » !
               
               La  comédie… humaine
               
                 On  me lira, oui, le monde entier me lira…,  assure Marcel Proust à Céleste. Il ne doute jamais de  l’authenticité de sa mission littéraire. Il reçoit d’ailleurs  en 1919 le prix Goncourt pour le deuxième volet de sa saga. Le monde  de la littérature, en la personne de l’éditeur Jacques Rivière,  directeur de la Nouvelle Revue Française, consacre l’écrivain et  l’édite. Proust est aujourd’hui traduit dans le monde entier.  Jusqu’à son dernier souffle, le 18 novembre 1922, l’écrivain  aura rempli plus de 3 000 pages. Dans la nuit qui précède sa mort,  il appose le mot « fin » à son dernier ouvrage, « Le temps  retrouvé », et se dit enfin soulagé, tant l’angoisse le  taraudait nuit et jour à l’idée de ne pas parvenir à achever son  œuvre. À la fin des années 50, celle-ci est reconnue  universellement. D’un roman à l’autre, le lecteur assiste à  l’évolution sur quatre générations, de 1840 à 1918, d’une  comédie humaine dont la longueur n’a rien à envier aux  Rougon-Macquart de Zola et aux écrits de Balzac. On y découvre, à  travers le prisme du narrateur, un tableau sans concession des  relations humaines mais surtout, et c’est ce qui en fait la  singularité, l’expression d’une sensibilité à fleur de peau  rarement égalée jusqu’ici. « À la recherche du temps perdu »  restitue la quête psychologique de chaque être humain qu’il met  en scène : cette incontournable opposition entre le présent et le  passé que chacun investit comme il le désire mais que seule l’œuvre  d’art, selon Proust, détachée des contingences limitées de  l’incarnation, peut transcender.
               
                
                Jean Roudier