Ernest Hemingway,
un homme,
une œuvre
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L’ambivalence de la condition humaine se retrouve pleinement dans l’œuvre et la vie de cet extraordinaire écrivain aventurier qu’est Ernest Hemingway. Balancé au gré des vents entre grandeur et faiblesse, vertu et imperfection, ce géant de la littérature américaine, voyageur infatigable, a inspiré de nombreuses biographies tant le personnage reste encore fascinant et mystérieux.
Portrait
Marié quatre fois, présent en tant que journaliste sur tous les fronts, couronné par le Prix Nobel de littérature en 1954, Hemingway, comme le souligne le journaliste écrivain Patrick Poivre d’Arvor, dernier biographe en date, est allé jusqu’au bout de ses passions, y compris dans ses excès…
La muse et le héros
Ernest Hemingway est né à Chicago le 21 juillet 1899. Sa mère est musicienne et certains biographes avancent qu’elle aurait préféré avoir une fille plutôt qu’un garçon. Quant à son père, il est médecin mais surtout passionné de chasse et de pêche. On raconte d’ailleurs qu’il emmène son fils pêcher dès l’âge de trois ans et chasser à sa dixième année après lui avoir offert son premier fusil. La notion de virilité s’installe donc très tôt chez cet enfant. Il doit néanmoins accompagner sa mère aux concerts. La chose lui plaît beaucoup moins mais il avouera plus tard que sa formation musicale forcée a été un atout pour peaufiner son style littéraire. Le futur écrivain aura toujours besoin d’être inspiré par ses muses et le journaliste de côtoyer ses héros.
Le premier roman
Ayant terminé ses études secondaires, le jeune Ernest n’a pas l’intention d’aller plus loin. Son oncle paternel, Alfred Hemingway, lui trouve rapidement un poste de journaliste au « Kansas city star ». Nous sommes en 1917 et la première guerre mondiale fait rage en Europe. Un an plus tard, il s’engage en tant qu’ambulancier et se retrouve au front. Il est gravement blessé et tombe amoureux d’une infirmière, Catherine Barkley, qui lui inspire son premier roman « L’adieu aux armes ».
Du journalisme à la littérature
L’action est véritablement une seconde nature pour ce jeune homme qui ne tient pas en place. En mars 1921, ses activités professionnelles le poussent à témoigner de la violence des affrontements au cours de la guerre gréco-turque. À son retour, il se rend à Paris accompagné de sa première femme officielle, Hadley Richardson, avec qui il aura un fils. Il y fait la rencontre de la poétesse féministe Gertrude Stein et d’écrivains américains comme James Joyce, Francis Scott Fitzgerald. Ils appartiennent au groupe littéraire « La génération perdue ». Hemingway décrit cette période de sa vie dans « Paris est une fête ». C’est dans cette atmosphère qu’il fait le choix de devenir écrivain. Et il veut être le meilleur !
Le premier drame
En 1926, il publie son premier roman « Le soleil se lève aussi ». Quasiment autobiographique, il raconte l’histoire d’un journaliste américain vivant à Paris pendant les « années folles », pris entre le désenchantement de la condition humaine et le besoin de faire la fête. Un an plus tard, Hemingway divorce d’avec sa femme et épouse Pauline Pfeiffer, une éditrice américaine qui lui donne deux enfants et avec qui il restera marié jusqu’en 1939. En 1928 survient un drame qui hantera Ernest jusqu’à la fin de sa vie. Son père, aux prises avec des difficultés de santé et d’argent, se tire une balle de fusil. Dès lors, il évoque la déception que lui cause celui qui était son héros. Heureusement, le succès arrive avec l’accueil unanime des critiques et du grand public pour son roman « L’adieu aux armes », qui contraste avec le cynisme du précédent. Les royalties lui permettent de prendre en charge les soucis financiers de sa mère et de ses frères et sœurs.
L’engagement !
En 1936 éclate la guerre civile d’Espagne. Après une période plus ou moins dépressive, Hemingway tombe à nouveau amoureux. Il s’agit de Martha Gellhorn : elle est écrivain et journaliste correspondante de guerre. L’aventurier voit en elle une égale et n’hésite pas à la suivre dans ses pérégrinations. D’abord en Espagne en 1937, où il prend ouvertement parti pour le front républicain, puis en Chine pour couvrir la guerre de Chang Kai-Shek contre le Japon. Hemingway, ayant retrouvé avec sa nouvelle muse sa vitalité et sa fascination pour l’aventure, divorce une seconde fois et épouse Martha le 21 novembre 1940. L’écrivain, qui a besoin d’expériences humaines fortes pour écrire, publie « Pour qui sonne le glas », un roman inspiré par l’histoire du couple en Espagne. La relation entre Martha et Ernest n’est pas de tout repos. Martha place sa profession avant sa vie de couple. C’est une battante elle aussi. Ils se ressemblent trop pour réellement se compléter. Entre fusion, émulation et finalement rivalité, ils se séparent en 1945, date qui curieusement correspond à la fin des hostilités mondiales…
Le combat final
La qualité d’un grand journaliste, explique encore Patrick Poivre d’Arvor, c’est d’être toujours là où il faut. C’est le cas d’Hemingway qui, après un séjour à Londres en 1944, couvre en tant que correspondant de guerre pour le magazine américain Collier’s le débarquement des Alliés en Normandie et la Libération de Paris. C’est à cette période qu’il rencontre celle qui deviendra sa quatrième et dernière femme, la journaliste Martha Welsh. En 1952, il publie « Au-delà du fleuve et sous les arbres », un livre traitant de la guerre de 14/18 qui reçoit peu d’échos positifs. Son écriture contraste en effet avec la force de ses œuvres précédentes. Il est plutôt question d’antihéros que de héros. Sans doute l’auteur est-il marqué par toutes les horreurs qu’il a vues sur les champs de bataille jusqu’ici ? Sans doute aussi est-ce la manifestation d’un psychisme épuisé, dans une phase dépressive ? Ernest Hemingway boit à cette période plus que de raison. Un sentiment de culpabilité semble le tarauder et l’identification à ce père à la fois viril et dépressif prend peu à peu le dessus sur sa personnalité. Il se bat jusqu’au bout contre ses démons intérieurs et ce, tant qu’il peut écrire. « Le vieil Homme et la Mer », ce chef d’œuvre résume d’ailleurs et sublime son combat final. Composé sur le modèle de l’épopée à la manière du « Moby Dick » d’Hermann Melville, il conte la lutte acharnée d’un pêcheur vieillissant pour réhabiliter son image de « champion » indestructible auprès de son petit-fils. Indestructible, c’est l’image qu’Hemingway veut aussi donner de lui-même lorsqu’il échappe à la mort au cours des deux plus terribles guerres que l’Humanité ait connues, lors d’un accident d’avion en 1953 et de plusieurs accidents de voiture. Pourtant, il n’accepte pas sa déchéance psychique et physique et se suicide avec la même arme que son père le 2 juillet 1961, après avoir tenté de se soigner dans un hôpital psychiatrique. Deux jours après avoir reçu un traitement aux électrochocs dans la clinique Mayo, Hemingway fait encore un clin d’œil plein de lucidité et d’humour en écrivant ces mots : Ces docteurs de « chocs » ne connaissent rien aux écrivains… On devrait exiger de chaque psychiatre qu’il prenne un cours d’écriture créative afin de savoir ce qu’est un écrivain… Dans quel but ont-ils détruit mon esprit et effacer ma mémoire qui est mon capital ? Je ne peux plus travailler. Le traitement était brillant mais on a perdu le patient…
Gérard Roulier