Glenn Herbert Gould voit le jour le 25 septembre 1932 à Toronto au Canada. Il est fils unique. Sa mère, Florence Grieg, professeur de piano et cousine du compositeur Edward Grieg, lui instille très tôt les rudiments de la musique et ce, jusqu’à ce que Glenn ait dix ans. Quant à son père, Russel Herbert Gould, il exerce le métier de fourreur. Une oreille absolue !Alors qu’un tout petit enfant devant un clavier a tendance à utiliser la paume de la main de manière ludique, Glenn, assis sur les genoux de sa mère, appuie sur une seule touche à la fois et attend avec délectation que la vibration sonore aille jusqu’à son terme. Dès l’âge de 3 ans, Florence, qui ne cache pas son désir d’avoir un enfant musicien, lui donne des cours. Elle prend alors conscience que son fils possède ce que les musiciens nomment l’oreille absolue, c’est-à-dire cette capacité à reconnaître une note de musique en l’absence de référence à une autre. Statistiquement, seul 1 musicien sur 500 000 en serait pourvu ! Par ailleurs, Glenn apprend à lire la musique avant les lettres de l’alphabet. Il a 5 ans lorsqu’il compose ses premières chansons et déclare à son père : Je serai pianiste de concert ! L’inconscient du jeune musicien semble ainsi coller tout à fait au désir de sa génitrice, qui restera d’ailleurs la seule femme de sa vie puisque Glenn ne se mariera jamais. Toutefois, à l’inverse d’un Mozart, ses parents ne tiennent pas à exhiber le petit prodige comme une bête de foire. Ils lui font fréquenter l’école mais le petit Glenn montre déjà un comportement relativement asocial : il tisse peu de liens de camaraderie, préférant la compagnie des animaux. Il se sent bien aux côtés de son Setter anglais « Nicky » et de sa perruche « Mozart »… Un virtuose reconnu mais peu académiqueEn 1942, les aptitudes musicales exceptionnelles de Glenn Gould lui ouvrent les portes du Conservatoire royal de musique de Toronto. Il suit alors l’enseignement d’Alberto Guerrero, musicien chilien émigré au Canada, qui devient son unique mentor pendant dix années, même s’il apprend parallèlement la technique de l’orgue avec Frederik Silver et la théorie musicale sous la houlette de Leo Smith. Élève surdoué, il est reconnu par les plus grands artistes de l’époque et commence une tournée de concerts aux États-Unis dès l’âge de 18 ans. Il joue avec Herbert von Karajan, Léonard Bernstein et Yehudi Menuhin. Si le public adore et acclame le jeune prodige partout où il se produit, Glenn Gould ne se satisfait pas de cette gloire. Il est tout entier dans la musique et veut faire corps avec elle. Son exigence de perfection supporte de moins en moins les aléas d’une représentation en public. On a beaucoup commenté cette attitude singulière au point d’y voir un esprit perturbé mentalement. Certes, l’homme peut paraître excentrique. Il ne correspond pas aux canons académiques du pianiste classique tant son attitude physique contraste avec les règles admises jusque-là. Lorsqu’il joue, Glenn Gould semble vivre dans un autre monde : il chantonne, on entend sa chaise grincer, sa tête effectue des rotations qui font penser à une attitude autistique. Pourtant et paradoxalement, il fait passer par cette gestuelle non conformiste sa magie singulière qui fait la différence et qui consacre son génie. Glenn Gould est reconnu, avec George Cziffra, comme l’un des meilleurs pianistes de la deuxième moitié du XXème siècle.
Une relation solitaire à la musiquePrès de soixante ans après son enregistrement « Variation Goldberg » (en juin 1955 dans les studios CBS à New York), le disque reste encore aujourd’hui une référence absolue en ce qui concerne l’interprétation de la musique de Jean-Sébastien Bach. Se sentant beaucoup plus à l’aise qu’en public, l’ambiance des studios le rassure. Il peut, dans cette espace protégé, communier intensément avec son art. Il m’arrive d’arriver le matin en studio avec non pas deux mais seize façons différentes d’envisager l’interprétation de l’œuvre en question. Cette possibilité d’exécution est d’un luxe inestimable. Un luxe que le concert ne permet pas. Ce serait suicidaire d’entrer en scène ainsi ! conclut Glenn Gould avec un sourire qui en dit long sur son trac avant une représentation. Son angoisse était d’ailleurs telle qu’il se livrait, avant chaque prestation en public, à des rites conjuratoires, comme celui de plonger ses bras dans de l’eau chaude avant d’entrer en scène… À force d’annuler ses concerts en prenant des prétextes frisant l’hypocondrie, Glenn Gould fait le choix de mettre fin à ce qu’il considère comme une véritable torture. Il quitte définitivement son activité de concertiste le 10 avril 1964, après une dernière apparition à Chicago. Sa carrière est toutefois loin d’être achevée. Un alchimisteOutre ses innombrables séances d’enregistrement en studio, Glenn Gould se consacre désormais à la production d’émissions radiophoniques et télévisuelles. Il collabore pendant 25 ans avec la chaîne CBS, l’un des plus grands réseaux de radio et de télévision des États-Unis, et Radio Canada. Au total, sept documentaires avec Bruno Monsaigeon dont « Les chemins de la musique » en 1974, rebaptisé « Glenn Gould l’alchimiste », et un nombre colossal d’émissions dans lesquelles il impose sa technique de radio contrapunctique en référence à la méthode du contrepoint utilisée en musique. Le principe consiste à faire parler plusieurs personnes en même temps, à capter et à mixer les bruits de l’environnement et à ajouter un accompagnement musical. Une abstraction hors du tempsGlenn Gould protège jalousement sa vie privée. Pourtant, son comportement dénote une personnalité troublante autant que troublée… Pour exemple, il porte sur lui plusieurs couches de vêtements ainsi que des gants et ce, même si la température ambiante ne semble pas le nécessiter. Alors qu’il dit ne pas aimer les dernières œuvres de Mozart, expliquant qu’il est mort trop tard, il fait l’éloge de la voix de la chanteuse de variété Petula Clark, lui consacrant un article dithyrambique. Cet anachronisme reste symptomatique d’une personnalité déconnectée d’un certain principe de réalité mais qui a certainement accès à une dimension abstraite qui nous dépasse. Glenn Gould est un lecteur assidu de la Bible dont on a retrouvé un exemplaire usé jusqu’à la corne dans sa table de chevet, après sa mort survenue à Toronto le 4 octobre 1982, quelques jours après ses cinquante ans, à la suite d’un accident vasculaire cérébral, le même accident qui fut fatal à Florence, sa mère – et certainement sa muse – sept ans plus tôt. Glenn Gould, bien que souffrant objectivement de sérieux problèmes psychologiques, a laissé à l’humanité une œuvre exceptionnelle dont il voulait se dissocier en tant que mortel. À une journaliste qui lui demandait les raisons de son renoncement à la scène, il répondit : Je ne voulais plus être un spectacle ! Je dois être un son, une abstraction, une émotion pure, pas un objet de curiosité. Mes mains, mon visage, ma chaise, mon piano, tout cela n’est pas la musique…
Gérard Guny
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