La désacralisation de l’Occident a vu grand nombre d’Occidentaux se jeter dans une quête parfois aveugle vers les traditions spirituelles de l’Orient, comme si la vérité se trouvait là-bas. À l’inverse, le courant le plus orthodoxe de l’Église voit dans la tradition hindouiste une forme de polythéisme et dans le bouddhisme du nihilisme… Entre ces deux extrêmes, des sujets ont cherché à dépasser les clivages pour tenter d’entrevoir d’autres possibles. Sans tomber dans un syncrétisme confusionnel, certains d’entre eux – comme Jacques Brosse – ont su trouver dans la rencontre de la pensée occidentale et orientale une forme d’épanouissement, transcendant ainsi l’étroitesse de ceux qui pensent que seule leur tradition est bonne. Voici ce que confie Brosse à un journaliste : Une méthode valable est celle qui a fait ses preuves. Le christianisme a fait ses preuves pendant deux mille ans et le bouddhisme pendant deux mille cinq cents ans. Cela dit, je ne crois pas qu'il existe une méthode universelle, c'est pourquoi il faut préserver les différences par-delà l'œcuménisme… Une destinée singulièreJacques Brosse est né en 1922. Dès l’âge de quatre ans, une question le taraude. C’est en passant devant le miroir de la chambre de ses parents qu’il se demande qui est ce double qu’il aperçoit. Ce Qui suis-je ? le suivra toute sa vie, quelles que soient ses activités. Il n’aura de cesse de trouver des réponses à cette quête existentielle. Son chemin de vie lui a permis d’être essayiste, naturaliste, psychanalyste, encyclopédiste, romancier, philosophe. Mais il ne se laisse pas enfermer dans ces rôles. Le parcours intérieur de cet intime de Michaux, de Cocteau, de Bachelard, de Lévi-Strauss, du maître zen Deshimaru, est doté d'une curiosité insatiable. Jacques Brosse est passé par le « divan » et l'expérience scientifique des drogues, a pratiqué le raja yoga, vécu auprès des Indiens d'Amérique latine et reçu d'un moine japonais la mission d'enseigner le zen. La transcendanceFidèle aux paroles du Dalaï Lama qui lui dit : Ne coupez surtout pas vos racines, quelles qu'elles soient, vos racines religieuses, Jacques Brosse s’inscrit dans la lignée des mystiques chrétiens, se définissant en tant qu’« apophatique ». L’apophatisme donne la possibilité de mettre un lien entre Occident et Orient, entre christianisme et bouddhisme. Brosse émet l’hypothèse qu’un homme comme Maître Eckart, dans sa définition qu’il donne de Dieu et de la Divinité, montre la voie à la transcendance des écrits chrétiens et bouddhiques. Pour ce mystique chrétien, Dieu est celui qu'on peut prier, c'est celui qu'on peut invoquer, avec qui on peut être en rapport. Quant à ce qu’il nomme La Divinité ou le Divin, c'est le transcendant dont on est dans l’impossibilité de parler : On peut faire des négociations à la limite avec Dieu, en le priant, en demandant des choses ; avec La Divinité, on ne peut rien dire. Cette position de ne pas parler de Dieu, ou tout du moins de ne parler de Dieu qu’en négatif – « Le non-né, Le non-créé, Le non-nominé… » – est en parfait écho avec le discours des maîtres zen qui, tel le Bouddha, parle de l’illumination en terme de « non-né, non-créé, non-nominé… ». Au-delà de la formeLe cheminement de Jacques Brosse n’est pas sans rappeler la voie du prêtre Henri le Saulx, resté chrétien tout en devenant Swami (titre donné à un moine qui a prononcé les vœux de renoncement et de service envers Dieu et l'humanité dans la religion hindoue). La question de « trahir », ou plutôt la crainte d’être en confusion entre deux religions, les a tous deux traversés. Ainsi Jacques Brosse se confie un jour à un de ses amis prêtre : Mon Père, ce qui me gêne c'est que maintenant je ne sais plus où j'en suis, je prie tantôt la Sainte Vierge, tantôt Avalokiteshvara (représentation de la compassion dans le bouddhisme). Le prêtre de lui répondre : Mais vous savez bien que c'est la même chose... Je veux simplement dire, c'est que c'est la compassion incarnée, la Vierge est la compassion et votre Avalokiteshvara est la compassion de la même manière… Cette forme de pensée ne nous met pas face à un amalgame entre bouddhisme et christianisme. Elle enseigne au contraire sur la façon dont un chrétien ou un bouddhiste doit prier, c’est-à-dire dans un au-delà de la forme, dans un renoncement total permettant de rencontrer la compassion. Cette compassion peut donc aussi bien émaner d’Avalokiteshvara et de la Sainte Vierge. Comme l’a si justement démontré Carl Gustav Jung, nous sommes en fait face à l’archétype de la compassion. C’est dans ce même désir de ne pas rejeter une tradition pour une autre que lors d’une interview au journaliste qui lui demandait : Puisque vous dirigez un dojo, vous fréquentez encore l'Église, vous allez à la messe ?, Jacques Brosse répondit non sans un brin d’humour : Je vais communier, oui, je vais à la messe et je communie, pas tous les dimanches, mais de temps en temps, parce que la paroisse est très loin…
Dominique Séjalon |
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