C’est en 1955 que ce peintre américain se fait remarquer avec un art singulier de la répétition : Drapeaux, Cibles. L’Expressionnisme abstrait connaît un succès grandissant et Johns trouve parfaitement sa place dans ce contexte à la mode. Ceci dit, Leo Castelli choisit d’exposer le peintre, ce qui n’est pas anodin… Mais cette exposition n’est pas vraiment au goût de tous les Américains qui jugent carrément le travail de l’artiste de passéiste et de néo-dadaïste ! Cet art décalé, en fait, reste novateur quoi qu’on en dise. Bien sûr, Jasper Johns choisit l’encaustique pour préparer son support, mais si ce procédé se veut ancien, deux éléments essentiels sont à retenir : tout d’abord, cette capacité à rendre indispensable au regard l’objet le plus banal, et une composition qui frustre ce même regard au point de lui permettre d’investir l’espace laissé vacant. Autrement dit, Jasper Johns offre son œuvre de façon quasi permanente. Il ne se l’approprie jamais en totalité. L’artiste aime les séries. Ainsi emploie-t-il et destine-t-il à la sculpture les objets les plus courants de la vie quotidienne, comme des boîtes de soda par exemple. Peu à peu, Johns se dirige vers l’abstraction après un temps de transition où il décale de plus en plus l’image de l’idée de la représentation réelle. En 1976, il entre dans sa période de hachures obliques, n’utilisant généralement que trois couleurs. Ce n’est que dix ans plus tard qu’il en arrive à représenter le « contenant » humain, sorte d’enveloppe charnelle qu’il laisse deviner (Saisons). Graveur talentueux, Johns ne se limite jamais. Il entretient une relation objectale intense qui devient le miroir subjectal usuel et utilitaire de la condition existentielle.
Ivan Calatayud