Alfred Kubin a connu très jeune les affres de la dépression. Effectivement, c’est à l’âge de 19 ans qu’il fait une tentative de suicide… Ses origines sociales sont pourtant correctes avec un père géomètre à la cour impériale, homme qui a toujours apporté à sa famille de quoi vivre dans de bonnes conditions, acceptant même que son fils se lance dans la photographie puisque tel était son désir. Mais Kubin se cherche. Il veut alors s’engager. Un malaise intérieur le ronge, quitter la vie le tente. Il finit heureusement par trouver l’énergie de réagir sentant une âme d’artiste s’imposer à lui. Il décide alors de quitter la Bohême et sa ville natale de Leitmeritz pour Munich. Il s’inscrit à l’Académie. Une rencontre amoureuse décisive le fait se marier et s’installer à Zwickledt mais le peintre garde un tempérament solitaire. Il se passionne pour Goya, Munch, Ensor, entre autres. Ces maîtres le rassurent. Il s’inscrit au salon d’automne en 1913. Kubin présente cette particularité d’allier Symbolisme, Expressionnisme et Surréalisme. Klee est fasciné, De Chirico aussi. Il est certain que Kubin projette sur la toile ses tourments borderline et ses hallucinations enfouies prennent corps singulièrement au bout du pinceau : La nuit tombe, le jouir s’enfuit. Comme chez tout mélancolique, Thanatos n’est jamais très loin, rôdant et pouvant se transformer de façon étonnante et malicieuse chez l’artiste. Ses caricatures parlantes laissent filtrer des messages sarcastiques dirigés notamment contre l’empire austro-hongrois. Excellent dessinateur, Alfred Kubin utilise également souvent le monde animal comme médiation, restituant ainsi habilement ce qui le gêne dans l’être humain et ses recherches de domination et de pouvoir. Finalement, la psychologie tourmentée de l’artiste ne l’a jamais quitté depuis les débuts de sa carrière. Même ses lavis au tout commencement renvoient une impression glaciale. Malgré le recours fréquent à l’aquarelle, le catastrophisme ambiant s’empare systématiquement de ses supports. Ce graveur émérite s’impose cependant jusque dans le milieu de l’édition, indépendamment de son célèbre roman Die andere Seite (« L’autre côté ») puisqu’il est demandé régulièrement pour illustrer des ouvrages, comme ceux de Poe, de Flaubert, de Balzac, ou encore de Dostoïevski. Décidément, la relation ambiguë et refoulée que l’inconscient d’Alfred Kubin entretient fantasmatiquement – malgré lui – avec son père le poursuit. C’est ainsi que ses œuvres laissent maintenant apparaître des reptiles, symboles phalliques par excellence, manifestant une impression d’étouffement, voire d’emprisonnement facilement accessible à l’œil. Petit à petit, insidieusement, les démons intérieurs enlacent l’artiste jusqu’à le faire disparaître à l’âge de 82 ans…
Ivan Calatayud |
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