La savoureuse histoire
du chocolat Menier
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Durant près de deux siècles, une illustre dynastie a présidé aux destinées du chocolat. Fondée par Jean-Antoine-Brutus Menier, fabricant de poudres pharmaceutiques, en 1825, l’entreprise familiale ne cesse de se développer jusqu’à être consacrée première chocolaterie mondiale en 1893. Elle règne sans partage sur le marché jusqu’en 1960, date à laquelle la société est rachetée par le groupe Nestlé. Petit coup de projecteur sur une savoureuse histoire.
Bien qu’apprécié des élites de la société depuis le XVIIème siècle sous forme de boisson et confiserie de luxe, le chocolat est surtout utilisé dans les officines des droguistes pour atténuer le goût amer des médicaments. L’idée de génie consistera à créer en 1836 la première tablette de six barres semi-cylindriques et de les recouvrir du célèbre papier jaune…
L’art de la communication
Non seulement Jean-Antoine-Brutus Menier révolutionne les habitudes de consommation de l’époque en rendant le chocolat accessible à un nombre grandissant d’amateurs, mais il reste l’un des pionniers de la communication de masse. Publiciste avant l’heure, il a l’idée d’un emballage reproduisant sa signature, ainsi que les médailles d’or et d’argent remportées lors de différents concours. En 1854, c’est au tour de son fils, Émile-Justin, de prendre la succession. L’entreprise se développe, allant jusqu’à acquérir des cacaoyers au Nicaragua. Son nouveau propriétaire est bien décidé à partir à la conquête du pays tout entier. Grâce au concours de l’illustrateur Firmin Bouisset, il crée la fameuse affiche Menier sur laquelle on voit une petite fille écrire sur un mur : « Éviter les contrefaçons ». La formule est lapidaire, anticipant déjà les futurs slogans publicitaires. Il s’agit d’accrocher le public, tout en luttant contre les imitateurs qui commencent à envahir le marché. La « petite fille Menier » est visible le long des voies ferrées, dans les gares et sur les cartes postales. Par ailleurs, Émile-Justin utilise largement la presse en insérant ce que l’on appelle encore à l’époque des « réclames ». À l’occasion de l’Exposition Universelle de 1889, 50 tonnes de chocolat, soit 250 000 tablettes, sont agencées en forme d’Arc de Triomphe.
Une entreprise humaniste
L’entreprise Menier est l’une des premières à saisir l’importance des bonnes conditions de travail des ouvriers. D’autant qu’Émile Justin, fervent républicain, sait tirer des leçons humanistes de la révolte sanglante de 1871. Ce que nous avons maintenant à poursuivre, déclare-t-il, c’est la prospérité du pays par la sécurité, la sécurité par la liberté et la liberté par la République. Afin de réconcilier le milieu ouvrier et la bourgeoisie, il fait le choix d’avoir recours à une politique de hauts salaires et met en place des structures d’accueil. S’inspirant du modèle anglais, Menier construit la cité ouvrière de Noisiel. Les salariés bénéficient de laveries, d’écoles, de bibliothèques, de restaurants et de soins médicaux gratuits. Dès 1905, une caisse spéciale de prévoyance (alimentée par l’entreprise) assure, pour les employés de 60 ans et plus, les pensions de retraite sans retenue sur la paye. Noisiel reste, jusqu’aux grandes grèves nationales de 1936, un havre de paix sociale.
Une ville d’art et d’histoire
Les installations industrielles de la famille Menier font aujourd’hui l’objet d’une considération particulière. Depuis 1986, dans l’ancienne chocolaterie, trois bâtiments sont inscrits à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques : la Halle des Refroidisseurs, la Cathédrale et le Pont. En 1992, le moulin Saulnier est restauré par l’architecte Daniel Lefèvre. En 2000, Noisiel reçoit le label « Ville d’art et d’histoire ». À partir de 2004, un partenariat avec le ministère de la culture permet un service d’animation du patrimoine ouvert au public. Des milliers de visiteurs effectuent chaque année un véritable pèlerinage aux sources du chocolat Menier. Quant à la ferme du Buisson, datant de 1880, elle est devenue un site consacré à la promotion et à la diffusion de la création contemporaine internationale. On y trouve un théâtre de 800 places, un espace de concert, deux salles de cinéma et un Centre d’art constitué de sept lieux d’exposition sur trois étages. Si, depuis 1992, la production de chocolat a cessé à Noisiel, l’esprit créatif qui a animé cinq générations de cette lignée exceptionnelle continue à nourrir l’imaginaire…
Danielle Paillet
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