Le grand public associe surtout le nom de ce grand compositeur au célèbre « Boléro » que le cinéaste Claude Lelouch a contribué à populariser en l’intégrant à la fin de son film « Les uns et les autres ». Cette œuvre lancinante et répétitive, composée en 1928, est le dernier cadeau que Maurice Ravel nous ait offert avant d’être réduit au silence par une atteinte neurologique. Coup de projecteur sur un être d’exception…
Maurice Ravel est né près de Saint-Jean-de-Luz, à Ciboure, le 7 mars 1875. Sa mère se prénomme Marie et, Joseph, son père, exerce la profession d’ingénieur. Il contribue à développer les travaux d’Étienne Lenoir sur les moteurs à explosion. À partir de juin 1875, la famille Ravel s’installe à Paris. Dans son « Esquisse autobiographique » écrite en 1928, le musicien se souvient : Tout enfant, j’étais sensible à la musique, à toute espèce de musique. Mon père, beaucoup plus instruit dans cet art que ne le sont la plupart des amateurs, sut développer mes goûts et de bonne heure stimuler mon zèle. Dès l’âge de 7 ans, le petit Maurice prend régulièrement des cours de piano. Sensibilisé par ses dons artistiques, ses parents l’inscrivent trois ans plus tard dans la classe d’harmonie de Charles René. Bien qu’insouciant et même paresseux, le jeune élève réussit néanmoins à impressionner ses professeurs quant à ses facilités dans le domaine de la composition musicale.
Une soif d’indépendance
L’année 1888 marque sa rencontre avec le pianiste espagnol Ricardo Vines. Une profonde amitié s’instaure entre eux, entretenue par leur passion commune pour la musique. Ils seront tous deux reçus à l’examen d’entrée au Conservatoire en 1889. À partir de cette période, Ricardo devient l’interprète attitré des créations musicales de Maurice. Cette même année, l’Exposition universelle leur ouvre des horizons nouveaux. Ils se passionnent pour les mélodies et les rythmes venus d’autres pays. Mais la curiosité du jeune Ravel ne se limite pas au seul domaine musical. La littérature l’intéresse, notamment les œuvres de Baudelaire, d’Edgar Poe et de Mallarmé. En 1893, il est fasciné par un musicien qualifié d’excentrique : Erik Satie. Se construisant peu à peu une personnalité indépendante, Ravel s’éloigne des dogmes académiques au point d’être renvoyé des classes d’harmonie et de piano en 1895. Il réintègre cependant, deux ans après, ce lieu d’apprentissage pour suivre les cours de Gabriel Fauré. Sa première composition, l’ouverture de l’opéra « Shéhérazade », provoque un tollé général du public et inscrit d’ores et déjà Maurice Ravel dans les rangs des compositeurs avant-gardistes.
Un artiste en avance sur son temps
Décidément, Maurice Ravel n’est pas enclin à rentrer dans le moule du classicisme. De 1901 à 1905, il essuie cinq échecs au Prix de Rome. Lorsqu’il est exclu en plein concours sous le fallacieux prétexte de la limite d’âge, l’affaire prend une tournure médiatique. Ravel est en fait le bouc émissaire d’une véritable guerre opposant les tenants de l’académisme et du modernisme. Un courant de sympathie se dessine. Théodore Dubois démissionne de la direction du Conservatoire. Romain Rolland s’écrie en mai 1905 : Ravel n’est pas seulement un élève qui donne des promesses ; il est dès à présent un des jeunes maîtres les plus en vue de notre école… Et je ne conçois pas que l’on s’obstine à garder une école de Rome, si c’est pour en fermer les portes aux rares artistes qui ont en eux quelque originalité, à un homme comme Ravel qui s’est désigné aux concerts de la Société Nationale par des œuvres bien autrement importantes que toutes celles qu’on peut exiger à un examen… Ravel, par ses compositions innovantes, dérange donc les milieux officiels de la musique. Mais son nom commence à être connu à défaut d’être reconnu. La tourmente n’empêche pas l’artiste de continuer à composer, en affinant son style, des pièces qui deviendront ses premiers chefs-d’œuvre : « Miroirs » et « Sonatine » (1905), « Introduction et allegro pour harpe » (1906), « Histoires naturelles » (1906), « Rapsodie espagnole » (1908). L’arrivée à Paris des ballets russes de Sergueï Diaghilev stimule sa créativité. Il échange avec Igor Stravinsky, étudie les œuvres d’Arnold Schönberg et compose une musique de ballet : « Daphnis et Chloé » en 1912. L’accueil est unanimement négatif. Ravel, comme Stravinsky, est en avance sur son temps. Aujourd’hui, cette œuvre est considérée comme l’un des plus grands ballets du XXème siècle…
La consécration
La Première Guerre Mondiale et le décès de sa mère affectent considérablement Maurice Ravel. Pour parer à une véritable dépression, il se retire dans sa résidence de Montfort-L’amaury à partir de 1921. Il y reçoit de nombreux artistes, renvoyant une image de « dandy » aux yeux de certains. En 1925, il compose notamment « L’enfant et les sortilèges » et de nombreuses autres pièces. En 1928, c’est enfin la consécration internationale grâce à un morceau qu’il considère étrangement, selon ses propres termes, comme vide de musique : « Le boléro ». Peut-être cette expression était-elle prémonitoire. Toujours est-il que 4 ans plus tard, il perd peu à peu l’usage de la parole ainsi que la faculté d’écrire de la musique. Il s’éteint le 28 décembre 1937, ayant rempli sa mission d’artiste et laissant à la postérité une œuvre sans cesse revisitée. Ravel, comme tout artiste authentique, ne cherchait ni à plaire ni à justifier ses œuvres. Je n’ai jamais éprouvé le besoin de formuler, soit pour autrui soit pour moi-même, disait-il, les principes de mon esthétique. Si j’étais tenu de le faire, je demanderais la permission de reprendre à mon compte les simples déclarations que Mozart a faites à ce sujet. Il se bornait à dire que la musique peut tout entreprendre, tout oser et tout peindre, pourvu qu’elle charme et reste enfin et toujours la musique…
Lilian Bernard