Il est temps de prendre
Théodore Monod au sérieux !

Il est temps de prendre Théodore Monod au sérieux !
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Tout à la fois éminent scientifique, humaniste dans l’âme, voyageur infatigable, écologiste engagé, antimilitariste convaincu, poète, Théodore Monod laisse de son passage sur notre planète de quoi s’interroger sur l’avenir de l’Humanité. Figure incontournable parce que porteur d’espérance, ce quêteur d’absolu a su magnifiquement concilier foi et pragmatisme, méditation et action, ciel et terre…

Le petit Théodore, prénom qui signifie « don de Dieu », voit le jour à Rouen le 9 avril 1902 dans une famille de tradition protestante. En 1907, son père, Wilfred Monod, pasteur, prend en charge la paroisse de l’Oratoire du Louvre à Paris et fonde la « Communauté des Veilleurs ». Très tôt, Théodore Monod se découvre une fascination pour la nature, passion qui prend racine au cours des nombreuses promenades qu’il fait avec sa mère au Jardin des Plantes, non loin du domicile familial de la rue Cardinal-Lemoine. Il en garde d’ailleurs un souvenir impérissable. Il confiera plus tard : Le Jardin du Roy, c’est mon sanctuaire, ma ville sainte, mon Bénarès, ma Mecque, davantage : mon Paradis. Je savais par cœur sa ménagerie, de la grue couronnée au lièvre de Patagonie, au vautour-moine et à l’hémione. Plus tard, j’ai exploré les musées. Pour être entré un jour, garçonnet de cinq ans, dans ce monde enchanteur, je ne l’ai plus quitté…

Une curiosité insatiable


S’il est une qualité qui définit bien la personnalité de ce grand explorateur, c’est bien la curiosité. Dès l’âge de 7 ans, il se passionne déjà pour les livres et continuera tout au long de son existence à aimer la littérature, ce qui fera de lui un grand érudit et un écrivain prolixe (24 ouvrages en plus de ses nombreux écrits scientifiques). Au sortir de l’adolescence, Théodore obtient brillamment des certificats en géologie, zoologie, botanique qui lui permettent d’intégrer, en 1922, le Muséum national d’histoire naturelle auquel il restera fidèle jusqu’à la fin de sa vie. Spécialisé dans la faune marine, il étudie la morphologie des poissons et des crustacés lors d’une mission océanographique en Mauritanie. Et de l’eau au sable, il n’y a pas loin…

L’appel du désert


En 1927, une expédition scientifique est l’occasion d’expérimenter pour la première fois un espace qui fascine : le désert saharien. Recueillant des échantillons de plantes et de minéraux, il découvre en même temps un univers qui va occuper 50 années de son existence au point qu’on le surnomme le « fou du désert ». Son intérêt scientifique s’harmonise avec sa quête philosophique et spirituelle. Le dénuement et la liberté des populations du Sahara lui font écrire : Quelques mots d’un Bédouin m’ont toujours plus appris que ceux des professeurs… Théodore Monod puise de ses longs voyages à dos de chameau un goût pour la liberté, l’indépendance de pensée, la solitude et le silence. Il parcourt des milliers de kilomètres, parfois à pied, recueillant le minimum d’échantillons pour ne pas défigurer les sites vierges qu’il visite. Puis il les répertorie, les classifie avec une extrême méticulosité pour qu’ils soient étudiés à son retour au Muséum. Ses carnets se remplissent de notes. Théodore Monod est considéré comme le dernier naturaliste utilisant la méthode des encyclopédistes. Travailleur acharné, il écrit une somme d’articles techniques sur ses découvertes. Le désert est son royaume et il aime cette vie qui va à l’essentiel. Miroir de l’Évangile, le désert lui enseigne la sagesse des humbles et notamment « Le sermon sur la Montagne » qu’il récite dans ses moments de méditation. Ce texte est redoutable, explique-t-il avec un humour polémique, car si on imaginait qu’il soit mis en pratique, le monde changerait du jour au lendemain…

Un résistant non violent


Théodore Monod est appelé sous les drapeaux en 1928. Il effectue son service militaire dans une unité saharienne. Deux ans après, il épouse une jeune juive, Olga Pickova. De cette union naîtront Béatrice en 1931, Cyrille en 1933 et Ambroise en 1938. Cette même année, le savant prend la direction de l’I.F.A.N (Institut Français d’Afrique Noire). La famille Monod quitte Paris et s’installe à Dakar. Pendant l’Occupation, Théodore Monod anime une chronique sur Radio-Dakar dans laquelle il défend avec vigueur ses idées. Pour lui, ce n’est pas seulement le sol français qu’il faut libérer, mais l’esprit français, celui qui donne une place prépondérante à la pensée. Pour Monod, l’Homme a le devoir de s’« hominiser », de s’élever encore et encore… Il réfléchit aux idées de démocratie, de république, de liberté, bafouées par la pire des religions : le totalitarisme. La propagande nazie est le reflet du pouvoir autodestructeur de la barbarie guerrière inhérente à l’être humain et que les animaux ne connaissent pas. Même le plus féroce d’entre eux, le lion, n’apprend pas à sa progéniture le meurtre d’autres lions. Pour Théodore Monod, seuls la désobéissance à la Pensée Unique, le pacifisme et l’écologie permettront à la race humaine, non seulement de survivre mais de s’épanouir. L’humanité est certes sortie des cavernes, emprunte-t-il à un de ses amis, il serait temps qu’il sorte aussi des casernes ! Sa chronique est censurée par le gouvernement de Vichy en 1941. Monod s’engage alors dans un groupe lié à la France Libre jusqu’à la victoire des alliés. C’est au sein de ce groupe qu’il accueille Charles de Gaulle en 1944.Un utopiste en action
La fin de la guerre ne met pourtant pas fin au combat d’un homme qui ne s’est jamais laissé inféodé par le pouvoir en place, quel qu’il soit. Le 6 août et le 9 août 1945 ont lieu deux événements dont l’importance, aux yeux de ce chantre du pacifisme, est considérable : les villes d’Hiroshima et Nagasaki font les frais d’une folle récupération belliqueuse des découvertes scientifiques, malheureuses cibles de la bombe atomique. Pour Théodore Monod, ces deux dates marquent véritablement la fin de l’ère chrétienne et le début de l’ère atomique. Comme le prophète criant dans le désert, il ne cesse alors d’alerter l’opinion publique contre les dangers pour la planète et pour ses habitants du « tout nucléaire ». Les explosions nucléaires ont des conséquences qui – insiste-t-il – touchent au devenir génétique de l’Homme. Alors qu’un bombardement classique, même s’il est meurtrier comme celui de Dresde, a une limite, un bombardement atomique continue à faire des dégâts des années après l’impact. Chaque année, et jusqu’à la fin de son existence, Théodore Monod, écologiste intransigeant avant la lettre, pratique un jeûne de protestation de quatre jours devant la base militaire de Taverny avec une poignée de militants. En 1999, il confie à un journaliste : Il est temps de penser à l’avenir de l’Homme. Rien qu’en France, avec l’argent du nucléaire, on aurait pu loger les sans-abris. L’arme nucléaire, c’est la fin de l’humanité… Profondément fidèle à ses convictions scientifiques et spirituelles, il écrit dans son ouvrage « Le chercheur d’absolu » : Mon but « utopique » voit l’Homme se diriger vers la transcendance, l’humilité, la lucidité… Quelle perspective ! Quelle espérance ! Malgré son inquiétude face à une société qu’il pense essentiellement axée sur le profit, le mot « fatalisme » ne fait décidément pas partie du vocabulaire de Théodore Monod.Un fonctionnaire ivre de liberté
Le mot « retraite » ne correspond pas à cet homme qui, à l’âge de 85 ans, participe encore à une expédition dans le Sahara dans le but de découvrir une météorite géante. Dix ans plus tard, il parcourt encore le Yémen. Jusqu’en 1996, année où il perd définitivement la vue, Théodore Monod se rend tout les matins – en dehors de ses voyages – à son bureau du Muséum pour y travailler. Sa conception du fonctionnaire est assez singulière : Bien que fonctionnaire, dit-il à l’occasion de sa signature de soutien aux insoumis d’Algérie, je persiste à tort ou à raison à me considérer comme un homme libre. D’ailleurs, si j’ai vendu à l’État une partie de mon activité cérébrale, je ne lui ai livré ni mon cœur, ni mon âme… Et c’est en réalité rendre service à César lui-même que de savoir parfois, le regardant droit dans les yeux, lui dire non. Cela peut l’amener à réfléchir car César aussi a une âme. Ces propos reflètent à merveille la pensée et l’engagement de cet Académicien hors-norme. Théodore Monod a vécu « dans le monde et hors du monde », conciliant son combat humaniste et sa foi chrétienne, sans trahir ni l’un ni l’autre. Peu de temps avant de passer sur l’autre rive, le 22 novembre 2000, il jeûne une dernière fois devant l’abri atomique de Taverny, mettant en acte une persévérance à toute épreuve, persuadé que l’amour pourra triompher de la haine. Beaucoup me parent du qualificatif d’illuminé… a-t-il écrit. Je les en remercie. L’utopie ne signifie pas l’irréalisable, mais l’irréalisé. L’utopie d’hier peut devenir la réalité…

 

Véronique Gaillot

 

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