On ne présente plus Egon Schiele tant l’immensité de ce peintre autrichien a franchi les frontières mondiales et les décennies successives. Parler de Schiele devient donc un plaisir égoïste qui permet de traverser encore et encore la destinée d’un artiste pas comme les autres…
Il serait aisé de dire que Schiele a bénéficié d’une période artistique bénie. Certes, l’avènement de la photographie fortifie les élans créateurs qui n’ont plus besoin d’être les témoins fidèles de leur temps. Mais le génie n’a pas la lourdeur d’un étayage de complaisance. Ainsi, l’amitié qui se tisse entre Schiele et Gustav Klimt ne doit rien au hasard. Egon Schiele, sûrement renforcé dans son désir de peindre par la reconnaissance que lui porte Klimt, présente ses premières toiles très jeune, à l’âge de 18 ans en 1908. Et ce à Klosterneuburg. Deux années plus tard, c’est la ville de Vienne qui accueille le talent singulier de cet immense artiste, ville où il finira d’ailleurs par se fixer. Egon Schiele est un artiste complet : dessinateur brillant, il utilise bien sûr le crayon mais aussi la gouache et l’aquarelle. Ses représentations sont un cri de douleur permanent qui choisit de montrer l’humanité dans ce qu’elle supporte et endosse sans vraie révolte. Il a ainsi l’honnêteté de se mettre en scène, pauvre objet manifestant les névroses et autres psychoses familiales et sociétales. Il y a de la coupure, de la schizure permanente dans les œuvres de Schiele. Les couleurs paradoxales et complexes constituent de leur côté une déchirure aux allures d’éviscération en voie de désincarnation (Nu aux jambes écartées, 1914). Si cette confusion amour/mort se retrouve un peu dans sa toile de 1918, La famille, il est impossible de ne pas analyser ici la responsabilité écrasante du père qui assure une descendance improbable et tourmentée selon le regard acéré de l’artiste. Les détracteurs d’Egon Schiele s’attardent sur la dimension érotique de son travail. Certains y voient une provocation, d’autres carrément de l’exhibitionnisme ! L’incompréhension de son œuvre le conduit en prison durant trois semaines, entre mars et avril de l’année 1912… Schiele ne s’en remettra jamais vraiment (Autoportrait en prisonnier, 1912). Pour cet exceptionnel génie, la peinture doit exprimer ce qui ne se dit pas. Ainsi, jusque dans ses paysages, on retrouve le dénuement et la détresse de l’être humain. Ses Arbres d’automne (1909) ne sont-ils pas peints pour induire – voire appuyer – le dépouillement existentiel, inéluctable bien sûr, mais souvent résultat de prédateurs multiples alentour… Curieux destin pour cet homme (et son épouse) qui décède en 1918 de la grippe espagnole qui sévit dans toute l’Europe. Il n’avait que 28 ans…
Ivan Calatayud
