De son vrai prénom Marie-Clémentine, elle répondait plus facilement à l’évocation sonore de Marie. Née à Bessines-sur-Gartempe en Haute-Vienne, elle suit sa mère à Paris. L’enfant a cinq ans, l’argent manque. Sa génitrice s’installe précisément à Montmartre où elle est blanchisseuse. Très tôt, Marie se met au dessin. Surdouée, elle utilise jusqu’à des résidus de charbon de bois qu’elle applique avec un rare talent sur les murs et les trottoirs… En revanche, peu douée pour les études et pas vraiment encouragée dans ce sens par sa mère, celle-ci lui conseille plutôt d’apprendre la couture mais Marie n’aime pas coudre ! Les modestes revenus de la maison obligent la jeune fille à travailler mais sans spécialité, elle accepte des emplois parfois très différents dont des heures de ménage aléatoires. Elle se rend compte alors qu’elle aime le cirque et se fait engager. Formée sommairement à l’acrobatie, une chute sévère la contraint à arrêter d’évoluer dans l’univers forain. Il n’y a pas grand’chose à faire à Montmartre sur un plan professionnel, si ce n’est côtoyer les peintres qui recherchent des modèles. Elle pose, parfois nue, pour Puvis de Chavannes durant huit ans, puis pour Renoir et Toulouse-Lautrec. Un signe du destin : ils habitent la même rue (Rue Tourlaque), sur le même palier ! Cette rencontre est déterminante pour Marie Valadon : Toulouse-Lautrec la voit griffonner, il est sous le choc. Il met au courant Bartholomé, son ami sculpteur qui, à son tour, parle du talent de Marie Valadon à Degas. Degas devient son mentor. S’il la nomme « la terrible Maria », il ne peut s’empêcher de la pousser dans la voie artistique et l’initie à la peinture. Il l’impose en 1882 au Salon de la société nationale des Beaux-Arts. Marie devient Suzanne Valadon et… mère en 1883. Le père de l’enfant, Maurice Boissy, ne le reconnaît pas. S’il s’est essayé à la peinture, il passe surtout beaucoup de temps à errer dans les cafés de Montmartre où il s’alcoolise jusqu’à en perdre raison. Ceci dit, Suzanne oublie vite cet amant de passage et s’affiche désormais avec Paul Moussis. Cette rencontre donne lieu à une union officielle en 1896 mais l’homme refuse catégoriquement de reconnaître le petit Maurice… Toutefois, en 1895, Moussis avait demandé à son ami Miguel Utrillo y Molins de donner son nom au gamin, ce qu’Utrillo accepta ! L’histoire ne dit pas fondamentalement pourquoi ce Barcelonais a bien voulu accéder à la demande de Moussis mais toujours est-il que Maurice n’est plus à proprement parler un bâtard. En outre, le mariage ne dure que quelques années. Le divorce est prononcé en 1909 et Suzanne s’éprend aussitôt d’André Utter, peintre vivant également à Montmartre. La famille fonctionne plutôt bien d’un point de vue de l’entente mais les finances battent de l’aile. Animés d’une solide volonté, progressivement le niveau matériel se redresse en 1926 et ils déménagent tous trois pour occuper un hôtel particulier avenue Junot. Maurice Utrillo, bien que très dépendant de sa mère d’une part pour des raisons de culpabilité inconsciente, d’alcoolisme irréductible à cette époque et de pathologie mentale, finira par vivre sa vie d’adulte en épousant, sûrement poussé par Suzanne, Lucie Valore, peintre elle aussi. Suzanne Valadon aime peindre et elle continue à exprimer son art avec passion. Ses œuvres sont particulièrement reconnaissables par la caractéristique d’un travail qui allie avec subtilité la force et la souplesse du trait. On retrouve bien ici la psychologie de cette femme et de cette mère qui ne baisse jamais les bras. Il n’y a pas de réel raffinement dans les peintures de Suzanne. Ses projections picturales témoignent sans cesse de son authenticité naturelle : Suzanne Valadon n’a pas peur de l’existence, elle assume ce qu’elle a à traverser, un point c’est tout ! Et les solutions émergent comme le prouvent ses représentations sur le support (Nu au bord du lit). Si certains crient à la vulgarité, il est plutôt logique de parler d’une sensualité exacerbée avec des jeux implicites de formes que l’on découvre dans ses natures mortes exceptionnelles. Suzanne Valadon est un personnage ancré dans ses origines, elle ne les trahira jamais. C’est sa force.
Ivan Calatayud |
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