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La psycho
dans Signes & sens
La mémoire littéraire
« Bonjour tristesse »
de Françoise Sagan
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Qu’il est bon de revenir au premier roman de cet écrivain mythique qu’était Françoise Sagan ! Le titre de son ouvrage, « Bonjour tristesse », est issu d’un vers du poète Paul Éluard. Il donne le ton d’une filiation littéraire et spirituelle déjà solidement ancrée dans l’inconscient de celle qui s’appelle encore Françoise Quoirez. « Bonjour tristesse » s’inscrit dans la tradition du roman psychologique, rappelant par certains côtés « La princesse de Clèves » mais innovant par sa singularité. Le succès est foudroyant. Elle avouera d’ailleurs elle- même plus tard : « La gloire, je l’ai rencontrée à 18 ans en 188 pages, c’était comme un coup de grisou… ». Et ce n’est certes pas un hasard si les ventes actuelles continuent à témoigner que « Bonjour tristesse » reste l’un des plus grands best-sellers de l’édition française… D’abord couché sur un mystérieux cahier bleu dans l’ambiance de Saint-Germain-des-Prés, sur une table de café alors que l’auteur sèche quelques cours de la Sorbonne, le roman prend forme grâce à la géniale intuition de l’éditeur René Julliard. Les jeunes filles des années 1954 et suivantes l’achèteront et le liront en cachette ! Il est vrai que pour l’époque, l’histoire de Cécile, une adolescente osant vivre sa sexualité en toute liberté, a de quoi choquer. N’oublions pas que l’âge de la majorité est encore fixé à 21 ans. Françoise Sagan était donc aussi une merveilleuse visionnaire…
Des vacances légères et nonchalantes
Lorsque débute le roman, Cécile, l’héroïne à laquelle des milliers de lectrices vont pouvoir s’identifier, passe ses vacances sur la côte d’Azur. Elle partage ses journées dans une villa avec son père, Raymond, la quarantaine, devenu un incorrigible séducteur depuis la disparition de la mère de Cécile, 15 ans auparavant. En compagnie de sa maîtresse, Elsa, ce papa, un peu gâteau, laisse sa fille vivre comme elle l’entend, se préoccupant peu de ses devoirs de vacances. Cécile, au gré de ses promenades sur la plage, rencontre Cyril, un jeune étudiant en droit. Ils nouent une relation d’été…
L’empêcheuse de tourner en rond
Anne Larsen est une ancienne amie de la mère de Cécile. Elle est invitée par Raymond à passer quelques jours à la villa. C’est une femme élégante mais pétrie de principes. Anne donnait aux choses un contour, aux mots un sens que mon père et moi laissions volontiers échapper… Quoique fascinée par la justesse objective des propos d’Anne, Cécile n’aime pas la façon dont cette femme s’immisce dans sa vie. Elle la perçoit d’une manière ambivalente. L’admiration qu’elle lui porte n’a d’égale que la haine qu’elle sent monter en elle lorsqu’Anne décide de la faire travailler afin de remédier à ses échecs scolaires passés.
Un drame inéluctable
Au fil des pages, le lecteur voit se nouer un drame psychologique, sur fond de conflit œdipien, admirablement décrit par la narratrice. Les propos insolents de Cécile se voient sanctionnés par une gifle de la part d’Anne, cette femme qui semble gagner le cœur de son père au détriment d’Elsa. Du point de vue psychanalytique, il s’agit d’une véritable guerre que se livrent la raison surmoïque et les pulsions de plaisir. D’un côté, Cécile se réjouit de voir son père s’assagir dans les bras d’Anne mais il lui est insupportable de subir sa loi. Et si elle se sent protégée par Cyril, elle est incapable de répondre favorablement à sa demande en mariage. Le conflit va même prendre une forme machiavélique qui aboutira à la mort accidentelle (ou suicidaire ?) d’Anne.
Le roman de l’ambivalence
L’ambiance de l’ouvrage révèle l’ambivalence de toute chose car rien ne peut laisser prévoir un tel enchaînement de situation : soleil, bord de mer, vacances… mais le pire est à l’affût. Comme dans « L’étranger » d’Albert Camus, la lumière du soleil éblouit plus qu’elle n’éclaire. Cécile ne parvient pas à faire le choix entre Elsa, sensible et simple, et Anne, intelligente mais insupportable rivale. Au chapitre III, l’auteur fait d’ailleurs une admirable description littéraire de ce clivage en décrivant Anne dont la peau s’adapte parfaitement au bronzage alors que celle d’Elsa pèle lamentablement !
L’ambiguïté de la liberté
On ne peut revisiter une fascinante œuvre comme « Bonjour tristesse » sans être renvoyé à l’existentialisme sartrien. La liberté ne va pas de soi. Elle est sœur de la solitude. Cécile n’a aucun réel point de repère et se débat au milieu d’un monde d’adultes qui se cherchent. Nous sommes au lendemain de la deuxième guerre mondiale et l’œuvre princeps de Françoise Sagan a le mérite de n’apporter aucune réponse définitive quant à la direction à donner à l’existence. Comme l’affirme Jacques Lacan, il n’y a rien de plus bête qu’une destinée humaine, à savoir qu’on est toujours floué… Ce terme pourrait renvoyer à blousé qui, de son côté, renvoie au blues, ce chant sublimé des esclaves. « Bonjour tristesse » est à savourer de la même façon : cet ouvrage parle plus à la sensibilité qu’à l’intelligence. C’est ce qui en fait une pépite intemporelle…
Gilbert Roux
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