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La psycho
dans Signes & sens
Sigmund Freud aimait, en parlant d’ « Œdipe roi », mettre en parallèle la tragédie de Sophocle et le déroulement d'une analyse : « Son destin (celui d'Œdipe) ne nous saisit que parce qu'il aurait pu être aussi le nôtre, parce que l'oracle a lancé contre nous avant notre naissance la même malédiction que contre lui. À nous tous, peut-être, il a été départi de porter sur la mère le premier élan sexuel, contre le père la première haine et le premier désir de violence ; nos rêves nous en donnent la preuve. Le roi Œdipe, qui a tué Laïos et épousé Jocaste, sa mère, n'est que l'accomplissement de désirs de notre enfance »…
Œdipe est roi de Thèbes, juste et bon à l'égard de ses sujets, jusqu'au jour où la peste, terrible malédiction, s'abat sur la ville. C'est la punition divine que le peuple doit subir car l'assassin du précédent souverain n'a toujours pas été retrouvé. Œdipe, afin de sauver son peuple, entreprend seul une enquête. Il convoque, entre autres, Tirésias, le plus grand des devins, un vieil aveugle qui lui laisse entendre, sans tout lui dévoiler, une part de vérité. Mais aucune preuve explicite ne semble confirmer les dires du sage et Œdipe, envahi par un doute extrême, poursuit son périple avec acharnement. Puis, de fil en aiguille, des éléments se rassemblent, alimentant ainsi le suspense de cette énigme.
Coupable mais pas responsable…
L'enquête finit par aboutir et la vérité éclate : « Hélas! Hélas! Tout s'éclaire, ô lumière puissé-je te voir pour la dernière fois! Chacun le sait désormais : il m'était interdit de naître de qui je suis né et de vivre de qui je vis et j'ai tué qui je ne devais pas » (Sophocle - Œdipe Roi). S'ensuit le suicide de Jocaste, la reine et épouse d'Œdipe. Ce dernier est alors anéanti par une culpabilité sans limite que, selon Sophocle, « ni la terre, ni la pluie sainte, ni la clarté du jour ne peuvent accepter ». Oedipe s'inflige lui-même sa punition, se crève les yeux, en fait se castre ! Il peut paraître étrange qu'après un tel acte, Sophocle n'ait pas mis un terme à la vie d’Œdipe, au final de cette pièce, comme il l'a fait pour « Ajax » ou « Antigone » ; il lui a préféré la mutilation, soit une forme de castration. Il est vrai qu'à cette époque les « coupables » ne semblent pas envahis par un fort sentiment de culpabilité et, selon Dodds, « la culpabilité ne devient sens du péché que par une intériorisation de la conscience, phénomène qui n'apparaît que tard dans le monde hellénique » ; pourtant, nous pourrions traduire que l'intériorisation de la conscience n'est autre que le refoulement inconscient et que le sentiment de culpabilité est indissociable d'une morale forte en tabous et, de ce fait, surmoïque. Quant à Œdipe lui-même, il n'est rien d'autre qu'un héros en quête d'un idéal absolu, condamné par les dieux à un destin tragique, coupable mais pas responsable puisque la faute est liée au « roman familial », au mauvais sort des générations précédentes ; Œdipe est puni par son héritage transgénérationnel : il est le fils d'un homosexuel poursuivi par la colère d'Héra du Cithéron, protectrice du mariage. Jocaste aurait enivré Laïos afin de procréer avec lui. Voilà donc comment Œdipe serait né, suite d'une négation et de l'entorse des lois édictées par les dieux, interdisant à Laïos d'engendrer.
Un « voyant aveugle » !
Dans ce mythe, nous retrouvons tous les éléments de ce que Freud a nommé le complexe d'Œdipe : le meurtre du rival, l'inceste avec passage à l'acte (dans ce cas), la montée de la culpabilité, puis la castration qui serait avant tout une rétorsion, sans oublier celle qui fait tout pour qu'on l'oublie : « la scène originaire ». Cette pièce, toutefois, force l'admiration par son génie. On ne peut que souhaiter la mort d'Œdipe tant ce schéma incestueux est dérangeant mais le désir de vivre d'Œdipe est grand et malgré le fait que ce personnage soit voué, dès sa naissance, au malheur, abandonné par les siens, chevilles trouées, il court vers la vérité et l'affronte quoi qu'il en soit. Œdipe survit néanmoins à tant d'affliction car, par l'acte le menant à une automutilation, par son aveuglement, il s'identifie à Tirésias, à celui qui détient la vérité mais qui ne voit rien. Tirésias est un personnage mythologique fort intéressant, dont on parle peu, et pourtant... Cet homme est un « voyant aveugle », condamné à lire au plus profond des âmes. Diverses versions expliquent sa cécité : la première serait due à Pallas qu'il aurait vu nue, la deuxième au fait fort douteux qu'il ait tué une femelle serpent après un coït, le sexe de celle-ci n'étant pas identifiable pour l'œil humain, enfin la troisième serait d'avoir maladroitement fait cesser une querelle entre Héra et Zeus qui se disputaient pour savoir qui, de l'homme ou de la femme, jouit le plus au cours de la relation sexuelle. C'est Héra qui l'aurait puni en l'aveuglant pour avoir donné la bonne réponse car Tirésias avait été homme et femme à la fois.
Identification et désidentification
Il y a de grandes similitudes entre Laïos, Œdipe et Tirésias. Œdipe, s'identifiant à Tirésias, s'en trouve aveuglé comme s'il l'avait été par Héra, tout comme Laïos, son père géniteur, est poursuivi par la malédiction d'Héra du Cithéron. S'il y a là une possibilité d'identification, il y a aussi une possibilité de désidentification. Et de désidentification, il est question dans une cure analytique. Œdipe régit nos inconscients en maître tyrannique. Un des sens de l'analyse serait de le détrôner par « le déclin du complexe d'Œdipe » qui, selon Freud, « équivaut, idéalement exécuté, à une destruction et à une annulation du complexe ». Jacques Lacan y associera la castration : « Ce qui n'est pas un mythe et que Freud a formulé pourtant aussitôt que l'Œdipe » et qui pose une limite au sujet et le structure dans sa position familiale, morale et sociale.
Sabine Verdier
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