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La psycho
dans Signes & sens
Quid de ces couples recomposés ?
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Les sociologues, médecins, psychanalystes et psychologues de la famille font état du développement actuel de la famille recomposée, et donc du couple, lui aussi recomposé, comme si demeurait, en nos fantasmes, l'exigence que le couple véritable, légitime, soit le premier, le seul, l'unique et comme si tout couple n'était pas composé, voire recomposé sans cesse, que les partenaires changent ou non.
On le sait, Freud l'a suffisamment écrit, dans un couple, il y a bien plus de deux personnes. Ceci dit, dans la réalité de l'amour partagé, le couple recomposé doit souvent compter avec un ou une enfant (parfois déjà adulte) qui se drape dans la légitimité de son antériorité d'amour pour le parent ; effectivement, ayant fait couple avec, durant un temps plus ou moins long il entend bien continuer ainsi, envers et contre tout et tous et surtout face au vilain gêneur ou gêneuse que constitue le nouvel arrivant du couple. On voit ainsi de plus en plus fréquemment des couples mère-fils ou père-fille se refermer entre soi, au chaud en famille, contre le risque d'aimer un ou une autre de l'extérieur... alors même que celui-ci, celle-ci a été attendu(e), désiré(e), recherché(e).
Que faire, alors ? N'y a-t-il d'autre solution pour le nouvel arrivant d'amour que de déclarer forfait, après un temps t d'essais infructueux pour se faire une place et construire avec l'autre un nouveau couple authentique ? Faut-il baisser les bras et laisser le petit couple familial parent-enfant élu perdurer dans son cocon ? Il faut y regarder de plus près car, à travers toutes ces attitudes, celle du cocon parent-enfant et celle du nouveau couple, se disent beaucoup de souffrances. Et, paradoxalement, le danger de destruction du nouveau couple provient de ces souffrances mêmes, les souffrances de tous, chacune sourde à celle de l'autre, car liée à de la jouissance, bénéfice secondaire généralement bien dissimulé.
Souffrances...
Anne-Reine, aînée d'une famille de quatre enfants, a beaucoup fait la petite maman dès lors que la mésentente de ses parents est devenue patente, s'occupant de ses frères et sœurs plus jeunes pour lesquels elle est devenue une référence, soignant aussi son père jusqu'à en être parfois la confidente. Elle s'est, on le voit, rangée résolument du côté du père, empiétant sur la place de la mère, place que celle-ci avait progressivement laissée vacante, pour causes successives de dépression, surcharge de travail et mésentente de couple. Le couple a duré d'un commun (?) accord jusqu'à la majorité du dernier des enfants. Puis, ce fut le divorce, long, coûteux à tous les sens du terme et pour tous les membres de la famille, durablement conflictuel. Maintenant, ils veulent tous la paix. On les comprend.
La paix, mais laquelle ? Et comment ? Après quelque temps de vie solitaire dans un petit studio proche du domicile de maman-les enfants (les deux derniers seulement, qui ne tarderont pas à prendre leur envol), papa noue une relation avec une nouvelle dame. Entre bonne figure (politesse oblige) et grèves plus ou moins sournoises des enfants, le nouveau couple se pose en tant que couple. Deux ans passent. Trois des enfants établissent finalement une relation cordiale avec nouvelle dame. Mais alors, fille aînée craque et se met à boycotter nouvelle dame. Etrange, non ? Elle vient justement de retrouver un compagnon, ils veulent un enfant, l'auront. Mais non, rien d'étrange à cela : Anne-Reine, la fille aînée, vit un deuil en double, celui du couple passé avec son père, autant à travers son nouveau compagnon avec lequel elle s'est installée, qu'avec nouvelle dame de papa. Ce couple merveilleux, père-veilleux aussi, comment s'en guérir ? Elle et lui, ils ont passé des week-ends ensemble auprès du feu quand ni maman, ni les petits ne voulaient venir à la campagne, il y fait si froid, surtout quand l'amour craque. Difficile de laisser tomber ce pouvoir sur lui, de cesser d'être la petite femme de papa, l'homme idéal, celui qui vous touche sans vous toucher.
Anne-Reine a 30 ans. Mais on pourrait raconter la même histoire avec Julien, 16 ans, qui boycotte obstinément le monsieur de maman, dans l'attente qu'il craque et s'enfuie, les laissant à leur petit bonheur fragile entre eux deux, bien protégés de l'extérieur mauvais (puisqu'il a cassé la famille d'origine). Et la même encore avec Marine, 10 ans, qui a veillé sur son père depuis la mort de sa maman et ne peut accepter la nouvelle dame de papa. Marine vous a sauvé la vie, après la mort de votre femme, en êtes-vous bien conscient ? dit au papa le psychanalyste consulté. Il sent vaguement le père, mais n'ose savoir car alors, que devrait-il faire? Chasser la nouvelle dame, ne plus vivre pour respecter une fidélité ancienne ? Ce qui est certain, dans ces divers cas, c'est la dette du parent envers l'enfant, dette sans fin, c'est-à-dire à la fois sans but et sans possibilité de la solder. Ainsi se nouent les souffrances de chacun. On y ajoutera celles du nouveau partenaire, la nouvelle dame, le nouveau monsieur : un couple recomposé est toujours marqué d'échec, de peur d'échouer, de douleurs diverses, d'interrogations. Je n'ai pas su... pas pu... pas osé. Comment faire à présent, quel cap tenir au milieu des tempêtes d'amours croisés, dans la polyphonie tantôt discordante et tantôt assourdissante des souffrances, toutes là légitimes ? Car le danger de rupture du couple recomposé se fait jour, renforcé par le fait que, pour les deux membres du couple, il s'agit d'un nouvel échec.
Danger... et solutions ?
Ce qui apparaît, c'est la nécessité de transformer l'existant. Aujourd'hui n'est pas hier et nul n'arrête la marche du temps. Premier problème : transformer, n'est-ce pas trahir ? Aimer quelqu'un de l'extérieur, parce que l'élan de la vie vous y pousse, n'est-ce pas dérober de l'amour aux bénéficiaires originels ? Là, il convient de bien marquer l'ordre des générations : si Anne-Reine a occupé un temps la position de petite maman et petite femme de papa, il va lui falloir revenir à celle de fille de ses deux parents, devenue mère, petit à petit, même si c'est difficile, lent, désolant car le cœur qui souffre se fait souvent étroit. Rappeler l'ordre des générations, c'est là le rôle du parent d'origine. De toute façon, lui seul sera écouté. Second problème : et si le parent d'origine désire - parfois plus ou moins à son insu - conserver le bénéfice des deux amours, l'ancien total (avec le fils ou la fille en place du parent de l'ex-couple) et le nouveau (avec nouvelle dame, nouveau monsieur)? Certes, on est plus riche avec deux amours qu'avec un seul, plus riche aussi quand on tient dans ses mains, en coupe, le passé conservé et le présent en effervescence. Surtout si le papa aux deux amours vient d'une famille où il fut l'élu de maman... Répétition, quand tu nous tiens!
Je serais tentée de dire que ce second problème est en fait le plus important : on ne contraint pas quelqu'un à l'évolution ; la métamorphose est un choix, de vie, certes, puisque la loi de la vie c'est se transformer ou mourir mais les étapes de ce choix ne sont pas toutes confortables. On peut, passée la première flamme pour nouvel homme ou nouvelle dame, faire machine arrière en se disant que c'était si bien avant. Soit. Pour nouvel homme ou nouvelle dame, alors il s'agit d'être ferme, mais sans chantage, d'être soi-même sans peur, à la fois réaffirmer son amour et refuser nettement d'être en concurrence d'amour, de position familiale avec l'un des enfants. L'amour, c'est le contraire d'un gâteau, plus on le partage, plus il est grand, me disait un papa confiant dans sa nouvelle vie... Mais, ai-je rétorqué, encore faut-il ne pas considérer les parts en termes quantitatifs, mais qualitatifs : chacun à sa place et de l'amour pour tout le monde, celui qui lui revient. Troisième problème : pour tous ces ajustements, du ressenti, puis du dire de la souffrance, ensuite de l'écoute réelle de la souffrance de chacun jusqu'à l'entente, il faut du temps, parfois beaucoup de temps. Savons-nous toujours le prendre – ou plutôt nous l'accorder ? Nous n'avons qu'une vie, disent certains... Raison de plus pour, dans le couple recomposé, se hâter lentement.
Marie-Josèphe Berchoud
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