La psychanalyse ne pardonne pas... ce n'est pas son objet. Je n'ai d'ailleurs pas été plus étonné que cela lorsque j'ai vérifié que le mot « pardon » ne figurait pas dans les principaux dictionnaires spécialisés réputés de la psychanalyse : ni le célèbre Vocabulaire de Laplanche et Pontalis, ni le Dictionnaire de Plon et Roudinesco, ni le plus récent, le Dictionnaire International de la Psychanalyse dirigé par Alain de Mijola, pourtant bien documenté.... Silence sur la ligne ! J'ai étendu ma recherche à « faute » et à « péché »: encore une fois, mauvaise pioche !
Une petite ouverture, enfin, dans le Dictionnaire de Psychanalyse et de psychotechnique - vraisemblablement publié en 1949, ouvrage collectif de 1200 pages en deux volumes, auquel ont collaboré des auteurs qui étaient ou allaient devenir prestigieux, tant freudiens qu'adlériens ou jungiens, comme le Dr Hesnard, le Dr Laforgue, Octave Mannoni, le Dr Françoise Dolto, le Dr Juliette Boutonier et, pour les jungiens, Madame Ania Teillard et Charles Baudoin et d'autres auteurs comme Edmond Jaloux et André Maurois (le nom de l'éditeur n'est pas mentionné dans l'exemplaire dont je dispose ; y figure seulement un encart pour abonnement à la revue Psyché, Revue Internationale des Sciences de l'Homme et de Psychanalyse) - dont un article est consacré au « péché ». Il invite à distinguer le péché, qui est conscient, d'avec le sentiment de culpabilité des psychanalystes qui est inconscient : « Le premier est un acte de l'homme, le second est quelque chose que l'homme subit comme une peine ou une maladie ». En s'avançant à explorer la différence entre le pécheur normal et le névrosé, il énonce que le pécheur reconnaît une erreur, demande pardon et jure en échange de ce pardon qu'il ne recommencera plus. Le névrosé préfère se détruire que d'avouer le péché et dénie sa propre capacité d'évolution et de perfectionnement. La répétition par le symptôme et ses déplacements peut conduire jusqu'à la culpabilité, soit de ne pas reconnaître ses péchés, soit de ne pas oser s'y confronter. Ce qu'un dessin de Sempé traduisait de façon forte en représentant un prêtre et un psychanalyste, chacun les bras croisés devant son officine. Un homme s'avance et n'a pas encore décidé quelle voie il empruntera. Et le psychanalyste dit en substance au prêtre : «S'il a déjà péché, il est pour vous ; s'il n'ose pas pécher, il est pour moi !».
Le pardon au cœur de la psychanalyse
Il n'y a sans doute rien de pire pour la conscience que de s'entendre pardonner lorsqu'il n'y a pas de demande : le pardon imposé, infligé, se vit comme une condamnation.
L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert cisèle avec finesse la place du pardon dans la double relation de la conscience à soi-même et à l'autre : « On fait
excuse d'une faute apparente ; on demande
pardon d'une faute réelle ». La psychanalyse accompagne le sujet dans sa quête et dans sa résistance à brouiller pour soi-même les pistes entre le sentiment de faute et sa réalité. Elle ne s'intéresse qu'à la
réalité psychique du sujet, surtout lorsque sa souffrance ne peut être rapportée et située dans une organisation collective de représentations reconnues. Les fêtes religieuses du pardon sont des fêtes d'expiation.
Pour qui ne s'inscrit pas consciemment dans la dynamique de la faute ou du péché, la souffrance se transforme en errance, le symptôme devient mouvant et ne peut être rattrapé ni par le pardon ni par l'expiation. Dans la cure analytique, toutes les instances qui entourent, éclairent et définissent le pardon, sont à l'œuvre dans un rapport si entremêlé, si noué, que le sujet incarne et entretient la chose et son contraire, le présent et le lointain, passé ou à venir. Le pardon est au cœur du processus de contrainte/après coup établi par Freud et souligné par Lacan. Si l'excuse sert à se justifier, la demande de pardon « est pour arrêter la vengeance ou pour empêcher la punition et désigne un mouvement de repentir ». Ce que
l'Encyclopédie situe au cœur du contrat social, dans le champ du passage de l'état de nature à l'état civil, la psychanalyse le réinscrit dans l'histoire du sujet. Le mot
pardon désignait une indulgence accordée par le pape « pour la
rémission des peines temporelles dues au péché et qui doivent être expiées en cette vie par la pénitence ou en l'autre par les peines du purgatoire ». Si le symptôme est à considérer et traiter, dans une perspective psychosomatique, comme une peine temporelle que le sujet s'inflige, nous avons à nous interroger sur le cursus analytique comme rituel d'expiation. Mais la séance n'est pas un lieu de pénitence et l'analyste accompagne le rapport que le sujet entretient avec ses instances intérieures, sans jamais se placer du côté du pardon au risque de cesser de faire l'analyste et de commettre la faute du passage à l'acte.
Pas de pitié pour le pardon !
La
rémission du symptôme peut être entendue comme un processus de levée de la peine que le sujet s'inflige. Mais elle n'en constitue pas l'oubli. Le psychanalyste se doit d'être particulièrement attentif à l'introjection des valeurs portées par le sujet, celles venues de son éducation, laïque ou religieuse, celles de ses années d'enfance, d'apprentissage de la vie. La psychanalyse nous enseigne par la voie de la cure ce dont les encyclopédistes avaient fait l'expérience face à la répression : « Nous aurions obtenu d'eux le
pardon d'un crime, nous n'en avons pu obtenir celui d'une bonne action ». C'est le fils qui ne se pardonne pas d'oser dépasser son père, ne sachant plus ce qu'il en est de son désir de grandir et de l'ambivalence du père qui, à la fois, le pousse et cherche à le freiner. C'est le refus de devoir tout à l'autre qui conduit à une révolte consciente, contrebalancée par des forces psychiques internes qui renforcent le lien que la conscience arrache.
Le psychanalyste n'a pas de pitié pour le pardon, qui constitue une mise en « double lien » en instituant un
suppliant et un
répondant. Luther l'avait déjà souligné en soutenant qu'il n'était en la puissance d'aucune instance temporelle de distribuer des
indulgences et pardons. Le sujet, en analyse, est renvoyé à sa liberté de reprendre et répéter ce « Dis pardon ! », injonction de sa petite enfance mise en écho du «Mon petit doigt m'a dit !», et de se construire comme
moi contre la double injonction de l'interdit et du pardon.
Norbert Chatillon
