|
La psycho
dans Signes & sens
Doit-on limiter
les soirées " pyjama " ?
|
Dans le principe, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Mais mises en miroir, les soirées pyjama soulèvent des interrogations légitimes quant aux comportements de ces préadolescentes qui en usent et en abusent.
Il y a une trentaine d’années maintenant que, dès l’école primaire, les filles (surtout) demandent facilement à aller dormir chez leur copine préférée. Si l’enfant cherche à prendre l’air, il est incontestable que du côté des parents, on respire aussi un peu... Ainsi, tout un chacun est plutôt pour... Le système en lui-même est donc salvateur. Certes, les petites Lolita s’en donnent à cœur joie ! Et leurs mères, étant un peu passées par-là, savent que mieux vaut s’abstenir d’aller écouter à la porte de la chambre : les conversations chez les 7/12 ans tournent autour des garçons (Ils sont cons !), du premier baiser (Je te dis qu’on ne peut pas attraper le sida en embrassant avec la langue), de la sexualité (Ma cousine m’a dit qu’elle couche avec son copain depuis cet été mais elle a 16 ans)... Entre elles, nos filles ne parlent pas école. Ou uniquement pour causer drague ! Vu sous cet angle, on peut raisonnablement considérer que l’avant-adolescence est une période de mise en questions (l’âge de raison...) et que ces rencontres nocturnes peuvent favoriser l’axe utile et incontournable de socialisation. Mais, en y regardant de plus près, les liens qui se tissent ne sont pas si anodins que cela.
Jouer aux grandes personnes
Si toute petite fille a chaussé les talons hauts de sa mère et enfilé son pull, soudainement transformé en robe, les soirées pyjama s’échafaudent dans un contexte psychologique différent. Ces rendez- vous singuliers occupent un espace qui se voit bousculé. De plus en plus, ces demoiselles précoces envahissent les canapés du salon, reléguant les parents de préférence dans la cuisine (Il y a aussi une télé) ou dans la chambre, dès 20 heures 30 (S’y trouve également un petit écran). Confortablement installées devant un soda light ou une infusion qu’il n’est pas question de sucrer (!), on ne refait pas le monde mais on prépare son avenir amoureux... Les émissions sont sélectionnées en général selon des critères d’esthétique féminine. L’image est première par rapport aux dialogues. Toute recherche de culture est bannie...
Peut-être est-il un peu facile de dire que le niveau des spectacles télévisés s’appauvrissant de plus en plus, les adultes subissent encore davantage des programmes inintéressants, tout en développant une culture du zapping qui n’échappe pas à leur progéniture. Mais, un peu comme un acting out qui rejoue les comportements parentaux, ces enfants barbie, en pyjama sophistiqué (on ne porte pas n’importe quoi et les marques sont importantes), miment de façon pathétique les habitudes de vie des grandes personnes. Cependant que l’escalade possible se situe ailleurs...
Ne pas céder au chantage
Indépendamment du fait que les nuits sont écourtées, ce que déplorent les enseignants, s’élabore dans l’idée même des soirées/copinages le futur contexte adolescent. Autrement dit, celles-ci le conditionnent déjà en le formatant quelques années trop tôt. Il n’y a pas si longtemps que ça, on rêvait d’avoir 18 ans. Cet âge, ainsi brigué, était logique au nom d’un développement psychosexuel (c’est d’ailleurs la période dite du déclin de l’Œdipe). Le fait de se prendre, de se vivre et d’évoluer comme une adulte à l’âge des sucettes, entraînera un manque, une béance plus tard. Ce qu’on n’a pas fait en temps et heure nous rappellera, un jour ou l’autre, à l’ordre. L’inconvénient majeur se situera essentiellement dans des attitudes souvent caricaturales : devenues adultes, ces ex-adeptes de soirées pyjama récurrentes deviendront des femmes/enfants... Femmes/objet, elles attireront des hommes dominateurs et pourront mettre en place un couple sadomasochiste. N’étant, la plupart du temps, pas prises au sérieux, elles rejoueront les soirées pyjama de leur enfance : dès qu’une déception arrivera ou à l’annonce du moindre problème, la réunionite aiguë opèrera. Les conversations seront la copie conforme de celles qu’elles avaient petites : Les hommes ? Tous des cons... Les préservatifs ? Il ne voulait pas en mettre, alors on a juste flirté, c’est bien fait pour lui ! Ma cousine ? Elle en est à son deuxième divorce... Inutile de dire combien ce phénomène de mode recèle plus de conséquences négatives que son apparence banale ne le laisse supposer. D’autant que les jeunes femmes en couple ont pris (gardé, retrouvé) l’habitude de sortir entre filles assez régulièrement. On ne peut pas nier le fait que ce n’est pas la meilleure formule qui soit pour pérenniser une relation amoureuse. Alors, pour prévenir toute fausse route possible à l’avenir, ne cédons pas au chantage, comme l’indique Caroline : J’ai eu beaucoup de mal avec Zoé, précise-t-elle. Avec mon mari, nous avons fini par réaliser que les soirées pyjama étaient de plus en plus fréquentes et les devoirs bâclés. Notre fille était très agitée pendant les deux ou trois jours qui suivaient. Nous en avons parlé au pédiatre qui nous a confirmé qu’à 9 ans, les invitations à découcher devraient être très isolées sur une année. Sinon, nous a-t-il dit, une sorte de dépendance se créera. Avec le risque que notre fille, prématurément et trop coupée du contexte familial, devienne influençable et rebelle au cadre de l’éducation qu’il nous semble logique de lui donner. D’ailleurs, sans vraiment qu’elle puisse nous livrer une explication, elle a décidé de ne plus aller au catéchisme. À notre étonnement, Zoé nous a répondu que ça ne servait à rien... Les soirées pyjama sont maintenant exceptionnelles et finalement, elle a remplacé ses cours de danse classique par de la danse moderne, qu’elle suit à nouveau assidûment. Nous préférons cela...
Chantal Calatayud
Les bonnes limites
Même s’il est normal que nos très jeunes aient envie de communiquer et d’échanger en dehors de la maison, l’extérieur peut toujours constituer un danger tant que le moi est insuffisamment assuré et affirmé. Dans son ouvrage «Parents d’ados. De la tolérance nécessaire à la nécessité d’intervenir», publié par les Editions de l’Hôpital Sainte-Justine, Céline Boisvert, psychologue clinicienne, conclut en rappelant que ce dont les jeunes ont besoin et avant tout, c’est de la présence aimante et sécurisante de leurs premiers objets d’amours, leurs parents. Même si nos ados s’en défendent ! En outre, la sécurité passe toujours, et quoi qu’il en soit, par les bonnes limites…
|
