Les Hommes qui vivent dans la tradition ne cherchent pas à
dominer la nature ; ils cherchent à être présents au monde
et à eux-mêmes. La vision du monde traditionnel est souvent
ancienne, voire millénaire. Les civilisations orientales sont
ainsi considérées comme traditionnelles, bien qu’une pure
société de ce type n’existe plus aujourd’hui du fait de la
mondialisation.
La plupart des traditions anciennes
repose sur cette logique du
monde et de l'Homme ; celui-ci
pose le postulat de la notion de l’esprit
ou d’une force transcendante à l’origine
de toutes les croyances. La modernité
nie cette dimension de l'esprit. Ces deux
conceptions ramènent au vieux débat
entre croyants et non croyants. La notion
d'esprit est effectivement la base des
religions, de toute vision spirituelle de
l’Univers et de l'idée de Dieu. Qu'est-ce
que Dieu ? Est-ce une invention de la
psyché humaine pour donner du sens à
la vie et échapper à l'angoisse de la mort,
en créant la notion d'immortalité de
l'esprit individuel ? Ou bien est-ce l'énergie-intelligence, la conscience-énergie
au départ de toute création ? Le
débat n'est pas clos entre ceux qui
croient à une conscience-énergie créatrice
de toute chose et ceux qui tentent de
montrer, scientifiquement, que la vie
n'est qu'un concours de circonstances,
un hasard surprenant explicable par la
biologie.
De nombreuses hypothèses
Les sciences dures, les philosophies athées ou les psychanalyses freudienne et lacanienne, envisagent l’existence comme précédant l’essence de l’être. Ainsi, le scientifique J. Monod pense que les Hommes se reproduisent en transmettant les informations de leur propre structure d’une génération à l’autre ; pour lui, cette invariance reproductive précède l’idée d’un projet personnel permettant à l’Homme d’accéder à son essence. Pour Monod, la vie est donc apparue par hasard. Michel Larroche, dans ses travaux scientifiques, développe également l’idée d’une reproduction cellulaire ; il démontre qu’une modification de cette reproduction est possible grâce à l’analyse-réinformation cellulaire. De son côté, Marx pense que la vérité n’existe pas avant l’effort humain pouvant la créer. Sigmund Freud, postulant de contradictions intrinsèques (ou complexes), en déduit que la quête essentielle de l’être ne serait qu’une tentative d’échapper au principe de réalité, pour se fondre dans l’indifférencié, en retrouvant l’état fusionnel du foetus avec sa mère.
Au-delà de la conscience
La pensée scientifique pose la religion comme une illusion empêchant de voir la vérité : il n’y a rien pour aider l’Homme et le
moi ne peut compter sur aucun secours face à sa souffrance. Les existentialistes athées, comme Jean-Paul Sartre et Martin Heidegger, adhèrent à l’idée que c’est au cœur même du néant que l’humain peut entrer en contact avec la source créatrice de l’être. Les existentialistes non croyants semblent poser un paradoxe ; d'un côté, ils nient l'existence d'un principe transcendant se rattachant à ce que nous nommons l'esprit ; de l'autre, dans leur philosophie de la conscience, qui semble très proche par certains aspects de la philosophie bouddhiste, ils proposent un cheminement permettant de transcender le monde ontique d'Heidegger ou la mauvaise foi sartrienne, pour découvrir ce qu'ils nomment l'essence de l'être : le
dasein, le monde ontologique ou le projet qui jaillit du
néant comme source créatrice de l'être. Cette source créatrice
n'est-elle pas la force ou la valeur plus haute à laquelle
se sont soumis bien des sages ou des personnes cheminant
sur le chemin de la sagesse ?
Essence et existence
Les pensées de J. Monod, Marx, Sartre ou encore Heidegger, nient en quelque sorte la possibilité d’une vie après la mort ; elles se posent contre la pensée des croyants qui adhère à l’inverse, à savoir qu’il y a une vie après la vie. Au-delà de ce questionnement, la vision ternaire du monde, c'est-à-dire constitué de trois éléments, est essentiellement une reconnaissance de deux réalités qui fondent l’être humain : un monde invisible et inaccessible – peut-être le monde des essences –, et un monde visible et accessible
– le monde des existences –. Il ne s’agit plus de fragmenter
l’Homme mais de le reconnaître dans sa globalité
comme à la fois matière, existence et essence, corps, âme
et esprit, être rationnel et non rationnel, conscient et
inconscient.
Par voie de conséquence et à la lumière de ce que nouspouvons croire être des contradictions, il nous semble illogique
de nier les avancées de la science démontrant qu’il
n’y a rien au-delà du psychisme. Cependant, nous ne pouvons
pas non plus ignorer que ce néant, reconnu par certaines
traditions spirituelles et certains scientifiques, est
peut-être le
sans fond du monde et de l’Homme, permettant
la création de toute chose.
Joëlle Maurel*
*Joëlle Maurel, Docteur en Sciences de l’éducation et psychothérapeute, est l’auteur de
"S’autoriser à cheminer vers soi", paru aux éditions Véga.