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La psycho
dans Signes & sens
Eduquer sexuellement,
gare aux tabous !
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En 1907, le Docteur Fürst, correspondant intime de Freud, pose à ce dernier la question suivante : “Peut-on, d’une façon générale, donner aux enfants des explications sur ce qui concerne la vie sexuelle ?” et Freud de répondre dans son ouvrage traitant de ce sujet : “C’est à l’école d’abord qu’il appartient de ne pas éluder la mention qui a trait au domaine sexuel”. Comme pour satisfaire son souhait, bien que beaucoup plus tard en France, le Ministre de l’Education, Joseph Fontanet, instaure à l’école, en 1973, une information sexuelle. Depuis lors, nos enfants bénéficient, dans le cadre de leur scolarité, d’un enseignement “scientifique” à propos du sexe, c’est-à-dire qu’ils reçoivent des explications détaillées de ce qui se passe sur le plan anatomique et physiologique.
Ainsi, maîtres respectueux de leur fonction et parents déchargés d’une tâche quelque peu embarrassante, peuvent se donner bonne conscience dans la conviction d’un savoir sans faille inculqué aux enfants à propos du sexe. Si l’on ajoute à cette éducation de base toute une variété de sources d’informations extérieures telles que la presse, la télévision, le cinéma, voire même les copains, il semblerait que nos enfants soient assurés d’une vie sexuelle adulte dite “normale”, exempte de toute névrose ou perversion.
Il n’empêche que les troubles pathologiques de la sexualité demeurent toujours aussi nombreux et nos chérubins, malgré toute cette préparation, s’interrogent et il ne leur reste plus, compte tenu de leur évidente immaturité tant physique qu’intellectuelle dans le domaine, qu’à imaginer, autrement dit à fantasmer, ce qu’est la sexualité et c’est là justement que le “bât blesse”.
En effet, je discutais récemment avec une adolescente à propos de ce qui lui avait été enseigné en classe sur la sexualité ; pour elle, tout ceci aurait eu comme résultat de compliquer davantage les choses et de lui faire se poser quelques questions supplémentaires. De surcroît, elle prétendait avoir éprouvé durant ces cours une fâcheuse tendance à la somnolence... Lorsque l’on sait que le sommeil, en tant précisément que fonction “réparatrice”, est bel et bien une fuite, cela revient à faire comprendre de la part de cette jeune fille qu’elle aurait préféré rester dans ses rêves, n’étant pas encore prête à affronter une réalité du monde adulte. Freud n’avait-il pas dit que “l’évolution de la pulsion sexuelle est organiquement déterminée, héréditairement fixée et peut à l’occasion s’effectuer sans le moindre concours de l’éducation”.
Il est tout à fait discutable d’imposer aux enfants, ne serait-ce que de leur suggérer, un quelconque savoir en matière de sexualité, que ce soit dans un contexte familial ou scolaire, ne sachant pas si inconsciemment ils sont prêts à entendre. L’enfant, durant son éducation libidinale inconsciente, fait systématiquement une confusion entre les sentiments qu’il éprouve à l’égard de ses parents et l’amour sexuel. Dès qu’il est question de relation sexuelle, il se met donc en place un “fantasme incestueux” puisque pour l’enfant ses grands objets d’amour ne sont encore, à ce stade, que les parents et que “ça”, c’est un lien sacré. Toutefois, il se heurte déjà aussi à l’interdit de l’inceste.
Freud a fort bien illustré ce schéma en parlant de “terreur sacrée” pour définir le tabou. Attitude précisément “ambivalente” selon l’expression de Bleuler car inconsciemment l’individu est tenté de transgresser l’interdit mais que c’est défendu ; il s’ensuit inévitablement une terrible “angoisse infantile” à propos de la sexualité. Ce qui explique, chez certains enfants, une sorte d’inertie psychique lorsqu’ils ne veulent rien savoir ; il s’agit là beaucoup plus d’un mécanisme protecteur que d’un mécanisme de défense : l’enfant se protège dans une attitude phobique de telle façon qu’en posant un “non-vouloir entendre”, un veto sur la sexualité, cela lui permet d’attendre afin de respecter son évolution à la fois biologique et psychique.
L’adolescent qui n’a pas encore atteint le déclin de l’Oedipe, selon la théorie psychanalytique, éprouve de grandes difficultés à aborder le thème de la sexualité car, inconsciemment, il est perturbé par la “scène primitive”, soit la représentation du rapport sexuel des parents dans lequel il se croit impliqué de par ses sentiments oedipiens. Cette perception va profondément le troubler. Ne serait-ce qu’en ayant osé imaginer cette “scène originaire”, il fantasme avoir transgressé le tabou, désobéi au “Non” du Père et ainsi être gravement menacé : “Celui qui a violé un tabou est de ce fait devenu tabou lui-même” selon Wundt. Voici donc la certitude d’une rétorsion inévitable... Non seulement, en découle une inhibition du développement de la pulsion sexuelle de par son aspect incestueux mais pire encore, l’enfant se transforme en tabou personnifié, comme interdit à lui-même et aux autres ; ce seront, entre autres, les manifestations de honte, de dégoût ou de pudeur.
Le mot tabou, emprunté au vocabulaire de la langue polynésienne, outre sa connotation d’interdit, signifie “ce qui ne doit pas être touché”. L’enfant, métamorphosé en impur, tel un pestiféré, ne devra donc pas être touché et par processus identificatoire ne devra pas, à son tour, toucher les autres. Une véritable “phobie du toucher” s’instaure et tout ce qui peut provoquer un contact devient impossible car prohibé. Comment peut-on envisager, dans pareilles conditions, une sexualité future épanouie ? Freud aurait d’ailleurs qualifié de “maladie du tabou” la névrose obsessionnelle, étant donné qu’elle trouve ses origines dans des fixations à cette obéissance rigoureuse des interdits. En effet, le désir va, de toute façon, toujours chercher à s’indemniser de ce qui lui a été refusé. Il y a installation de comportements particuliers, dits compensatoires car “mis à la place de” : ce sont les actes obsessionnels.
Alors que faire face à la question, selon Freud, “la plus vieille et la plus brûlante de l’humanité” ? Il apparaît clairement qu’il n’y ait point de réponses précises et encore moins une quelconque recette en matière d’information sexuelle. La formule la mieux adaptée semble consister à écouter la demande de l’enfant, quelle qu’elle soit, aussi bien dans le “vouloir-savoir” que dans le “non vouloir-savoir”, respectant ainsi le développement de sa vie pulsionnelle, sorte de structuration du psychisme, spécifique à chaque individu. Néanmoins, si pour certains, éduquer sexuellement s’avère être une nécessité, les périodes de latence seront les plus favorables de par le désinvestissement de la pulsion sexuelle au profit des apprentissages, mais là encore, on ne peut y attacher de règle précise car ce serait sans compter sur la viscosité de la libido. Surtout que l’enfant ne devienne pas “l’objet”, sorte de bouc émissaire par lequel les adultes tenteraient de résoudre leurs propres interrogations quant à la sexualité : promesses d’amour chez les uns, menaces de trahison chez les autres, en accordant aux enfants des questions qui ne sont pas les leurs. Que l’enfant soit donc avant tout sujet de son désir, désir de savoir ou de ne pas savoir. Et, encore une fois, respecter ainsi sa parole est fondamental, tout comme être à l’écoute de ce qu’il dit et non de ce que l’on voudrait entendre : “Une authentique approche de l’enfant-question” selon J.B. Pontalis.
Que l’adulte qui souhaite parler d’amour aux enfants le fasse justement avec le cœur et non à grand renfort d’arguments ayant traversé les âges ; qu’il renonce peut-être enfin à la répétition d’un “savoir-faire” lourd d’héritage transgénérationnel au profit de la transmission d’un “savoir- dire” l’amour qui consisterait alors à apprendre à aimer, faculté indissociable de la capacité à s’aimer soi-même et n’est-ce pas là le gage du bien-être ?
Freud, lequel consacrera la quasi totalité de son existence à étudier toute la complexité relative à la sexualité, en déduit pour ce qui est de son enseignement, cette conclusion remplie d’humilité qui ne peut nous laisser insensibles et pour le moins dubitatifs quant à nos éventuelles prétentions en qualité de parents-éducateurs : “Après, les enfants savent bien quelque chose qu’ils ne savaient pas avant, mais ils ne font aucun usage de ce savoir. Ils se comportent comme les primitifs auxquels on a imposé le christianisme et qui continuent en secret à honorer leurs anciennes idoles”...
Xavière Santoni
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