Le désir est l’un de ces mots qui tintent
bien au-delà de leur contenu de signification
: il suffit de le proférer pour que l’imagination
se déclenche.
Le désir, c’est-à-dire ce manque inscrit dans la parole
que les analystes nomment le Wunsch, touche à la racine
de la détermination pratique de l’enfant, dès lors
que celui-ci va se mettre à phonétiser ; c’est l’âme en acte
désignant à la fois le mouvement vers le bien, au propre
comme au figuré, mais aussi vers la déraison et plus généralement
l’altération. Il est une condition du bien, de ce qui est
conforme à un idéal, à la morale, à la justice ; il est ce qui
fonde en valeur toute chose, toute action mais il est aussi
principe chronique du rapport troublant à l’autre. Comment
désirer sans avoir présent à l’esprit que ce que je désire est
bon ? Qu’est devenue par exemple la part de Wunsch, ce souhait
de désir en quelque sorte, de l’enfant au moment de Noël,
sinon le produit transformé du Wunsch parental lui-même ? À
partir de quoi autonomiser le désir de l’enfant et pour quelle
raison ?
Les préalables de la convoitise
Le désir est une sorte d’action de remplissage, un certain mieux. Autrement dit, il désigne quelque chose que quelqu’un souhaite, c’est-à-dire dont il veut qu’il se réalise, qu’il devienne réalité. Le caractère passionnel, voire sexuel, de la chose va dépendre de l’intensité de l’aspiration, de l’élan vers le but ou l’idéal. Il n’est donc pas de désir qui ne soit véritable sans vécu préalable du manque. L’enfant ne peut tout à fait s’éprendre du jouet qu’il n’a pas imaginé, donc identifié comme nécessaire et accessoirement utile. Le plaisir à envisager comme état mature est un projet dont le désir par l’objet est la cause
et l’instrument.
Lorsqu’il rejette
le cadeau qui lui est offert, l’enfant ne se rebelle pas ; au
contraire : il affirme son désir vrai et essentiel, n’en déplaise à l’entourage!
Le rêve est une réalisation de désir et un manque à la fois. La
fête de Noël procède de l’onirisme éveillé. Le désir de tous, en
son sein, est malmené ; il n’invite pas au repos puisqu’en
conséquence, il va faire supérieurement travailler les inconscients.
Chaque sujet devra se mettre en quatre dans ce devenu
système dirigé, cette machinerie de psychopathologie sociale,
pour résister, dire et manifester au moins une once de désir
propre. C’est finalement une immense histoire d’échecs (et de
chèques penseront certains !), de déguisements, de travestissements
et de compromis que l’on retrouve, à bien y regarder,
dans cette période de l’Avent. Si l’adulte entretient son insatisfaction,
c’est que, enfant, il n’est pas parvenu à articuler son
désir. Souvent par peur de l’autorité parentale. Cette loi rediscutable
rend incapable d’obtenir l’objet de satisfaction et que
le sujet pourtant convoite.
L’illusion de la satisfaction totale
La notion de cadeau dans la vie n’est pas tant l’objet que le
principe qui mène à sa quête. Ou bien, la frustration en tant
qu’insatisfaction pulsionnelle est liée à l’absence ou au refus
d’un objet externe susceptible d’assurer pour le sujet sa satisfaction.
Ou bien, inversement, ce refus est le fait du sujet lui-même
! En se détournant de l’objet à la suite du conflit
inconscient, le sujet va pouvoir confirmer et réitérer sa
demande.
Sur le plan analytique, on ne va désirer que dans la mesure où il
va y avoir notion de remplissage et empêchement de ce remplissage.
Telle est la dynamique qui soutient le cycle du besoin en sa
répétitition. Le désir est bien la première activité de l’inconscient,
d’où la nécessité d’identification dans la cure analytique :
– C’est une motion, un mouvement psychologique, une unité
motrice de la psyché.
– Ce mouvement est porté par une répétition ; il faut donc
qu’il se soit déjà passé quelque chose avant. Il n’y a pas d’être
originel du désir, pas même le Père Noël !
– Cette réitération porte une trace souvenir, c’est une mémoire
en acte, nourrie de restes associatifs.
– Cette mémoire est perceptive et en particulier visuelle. Pour désirer, il faut avoir l’impression de revoir quelque chose.
– Ce qui est réanimé ainsi dans une espèce de nostalgie en acte
est une satisfaction liée au besoin. Le désir est donc pris dans
une sorte d’après-coup du besoin.
L’effet du Wunsch est la restauration de la première expérience
de satisfaction. Le Père Noël n’est pas un agent stakhanoviste
et réparateur de la panne de désir du Moi par un autre
sujet mais le contraire ! Il est un facteur réalisant, par le déplacement
de génération en génération, les tentatives individuelles et avortées de sublimation. On trouve naturellement le
plaisir et donc le déplaisir dans le sillage du désir ou dans le
sillon de sa réalisation. La satisfaction totale est une illusion
et l’expression de la pulsion de mort. Cette impression de
désir n’est rien de positif ; ce n’est que le dénouement d’une
chaîne dont les maîtres mots sont besoin, satisfaction, souvenir
et perception. C’est un plus, une sorte d’encore. La densité
de la satisfaction du besoin, de la dynamique de mémoire et
la vivacité de la perception vont définir le mouvement de récapitulation
du désir que Noël, par exemple, comme toute autre
célébration anniversaire, a pour fonction d’initier et sanctuariser.
Cette notion est particulièrement prégnante dans les institutions
s’occupant de personnes âgées, défaillantes sur le plan
cognitif ou souffrant de troubles à type de démence
Alzheimer. Les objets symboles (sapin, chocolat, papillotes,
bûche, dinde et marrons, le Père Noël lui-même…) vont
induire, pour la bonne cause, la régression. Et ramener à l’expérience
de satisfaction originaire qui est scellée au souvenir de
nature religieuse qui élève et invite au recueillement. Ainsi, les
fonctions du désir sont un devoir parental bien entendu mais aussi
un devoir social ou même sociétal. Le modèle politique actuel et
surtout à venir des organisations, fussent-elles de soins, en
dépend.
Freud et la séduction
Difficile de ne pas évoquer les hésitations de Sigmund Freud. Son questionnement. Ses tâtonnements. Et de ne pas pencher pour la théorie de la séduction, telle qu'il l'avait d'abord pressentie. Tout fantasme de séduction abusive aurait des origines bien ancrées dans le réel. Que le sujet ait subi une scène de séduction ou qu'il soit, en quelque sorte, l'hôte (le réceptacle) passager de restes mnésiques d'actes abusifs supportés par un ancêtre et transmis de façon douloureuse par la mémoire familiale et l'hérédité. La sexualité que suppose la démarche de séduction qu'un adulte entreprend vers un enfant fait effraction dans l'univers de celui-ci. Toute scène de séduction passive vécue par l'enfant dans l'effroi a une valeur pathogène et traumatisante — c'est-à-dire apte à communiquer une sensation de mise en danger et de paralysie contre lesquelles l'enfant n'est pas en mesure de se protéger.
Une question de limite
Répétition au mobile inconscient, il est des lignées de séducteurs ou de séductrices dont il n'est pas toujours facile d'être le fruit. Une mère séduisante décontenance mais une mère séductrice plus encore. Elle dit l'insatiabilité à l'origine parfois de conduites addictives. Aussi envahissante qu'une mère indifférente est inquiétante, ne supportant pas que l'on s'éloigne sinon pour servir son narcissisme tout à la fois blessé et blessant, exacerbé et exacerbant, elle monopolise l'espace, n'en laissant guère à sa progéniture qui voit surgir le désir d'échapper à son emprise, en même temps que l'espoir sans fin d'être reconnu par elle. Difficile d'être l'objet de celui ou de celle qui ne se supporte qu'en étant admiré, sans chercher à son tour à l'être à tout prix. Mais pour qu'un enfant joue de son pouvoir d'attraction, encore faut-il qu'un partenaire le lui confirme... Un adulte qui succomberait à ses faveurs ne pourrait l'en tenir pour responsable. L'enfant ne peut intégrer le sens d'une démarche de séduction à son endroit, sinon en tant qu'intrusion de caractère traumatique. Non encore apte à évaluer la portée de ses actes, il a besoin qu'on leur impose des limites, au fur et à mesure qu'il s'affirme.
Ne pas répondre par la séduction
Traiter une enfant d'allumeuse sous prétexte que l'on est sous son charme revient à se donner une excuse en inversant l'ordre des choses pour profiter de ce charme... Qu'un adulte s'amuse des gestes d'un enfant, à son corps défendant, ou les interprète de façon tendancieuse, trouble ce dernier. L'enfant aurait la prescience du bien et du mal. L'intrusion de l'inconscient de l'adulte dans son univers, à travers certains actes apparemment innocents qui véhiculent des connotations sexuelles, destinées à se faire plaisir à travers lui, lui fait violence car il n'est pas en âge d'en comprendre le sens, ni de les intégrer. Entre l'enfant et l'adulte, la séduction ne peut s'exercer de manière interactive sans danger. L'adulte se devrait de ne pas répondre par la séduction à la séduction qu'exerce sur lui l'enfance. C'est à lui d'essayer, au-delà de ses pulsions inconscientes, de maîtriser les messages qu'il fait passer à travers gestes et paroles, pour ne pas porter atteinte à l'enfant, ni nier la responsabilité que confère l'expérience. Jetant un trouble dans l'intimité, toute tentative de séduction serait susceptible d'attenter à la pudeur. Pour qu'elle reste délicieuse, trouve sa légitimité, la maintienne, la séduction nécessite un rapport de force équilibré entre les parties qui la lient, et des intentions dénuées d'arrière-pensées criminelles. Mais la relation vitale, ouverte dans la réciprocité, peut aussi s'émailler — à travers des mots anodins — de messages imprégnés de significations sexuelles — traces résiduelles inconscientes d'événements traumatiques — énigmatiques pour l'enfant, mais aussi pour l'adulte qui les transmet, comme à son insu. Leur puissance au-delà du réel peut les piéger — l'un et l'autre — et troubler en même temps l'enfant présent et celui que l'adulte a dû refouler suite à une expérience traumatisante. Un travail d'accompagnement pourra aider l'enfant, devenu adulte, à symboliser ces messages compromis pour éviter une répétition tendancieuse. Au-delà du nécessaire, le registre de la séduction détourne l'enfant de ses besoins véritables et devient un mode de fonctionnement dont il aimerait pouvoir sortir mais dont il aura du mal à se défaire...
Daniel Hénin
