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La psycho
de Signes & sens
Permettre à l'enfant de se décider
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Aussi réel que fut un malheur, il devient moins terrifiant sitôt pris conscience que l'on n'est pas seul à en être accablé ! Et si terrifiant fut-il au moment où il s'abattit sur nous, enfant, il n'est pas aussi écrasant aujourd'hui que dans la solitude intérieure où nous nous l'imaginions. Pour l'enfant, ou l'adulte qu'il devient, apprendre à ne plus douter de lui pourra revenir à lui apprendre à supporter la vérité de la réponse, aussi pénible soit-elle, et à vivre indépendamment du plaisir ou du dé-plaisir que procure cette réponse. Autrement dit, il s'agit d'apprivoiser la réalité, de discerner ce qui est désagréable de ce qui est mortel, d'apprendre à s'aimer et à être aimé par autre que ses parents...
Naturellement, pulsionnellement, l'enfant peut pressentir “ la mauvaise mère ” ou “ le mauvais père ”, sans pour autant concevoir d'animosité à son égard, sans moyen non plus de faire entendre ce nœud d'incompréhension qui formera symptôme dans la relation ainsi mise en doute. Mauvaise mère ou mauvais père n'est d'ailleurs jamais que celle ou celui – vous ou moi – qui, à un moment donné de son histoire parentale, ne sait dispenser au cœur de la dyade passionnelle parent/enfant qu'un sentiment empreint de plus de peine que de bonheur, quels que soient l'amour, la générosité, le désir de donner (de la) vie et de transmettre les forces qui animent en ce sens. Mère ou père, le meilleur moyen d'aider l'enfant à se décider est de lui tenir parole, tout en respectant ses hésitations, de s'affirmer solide et solidaire, même dans l'opposition, fiable et aimant, sans substituer nos choix d'adulte aux siens, ni promettre ce qu'il ne trouvera qu'en lui-même. L'enfant doit se réaliser à l'extérieur de toute relation familiale et non se conformer au goût parental dont il est normal (et nécessaire) de vouloir un jour se démarquer.
Réinventer la solution vitale
Reflet de la part d'imprévisible inhérent à tout cheminement, perméable aux présages comme à l'espoir, à l'appréhension comme à l'attraction, le doute caractérise l'esprit qui préside à toute avancée personnelle, sociale, collective, par la (re)mise en questions qu'il suggère. C'est dire s'il est précieux. Aussi, quel que soit le malaise que l'incertitude dispense chez les uns et les autres, il est souhaitable de laisser à chaque enfant, dans les limites du raisonnable, sa part de doute pour qu'il se trouve, asseye son identité, affirme et affine ses goûts et ses dégoûts. Même si un entourage bienveillant autorise l'enfant à user de sa faculté créatrice et non à la dilapider dans un processus d'auto-consolation compulsif destiné à mettre fin, sans jamais y parvenir, à un doute devenant obsessionnel et inhibant, il n'existe pas d'entourage idéal. Cependant, l'entourage peut opter pour une constante adaptation, à la condition indispensable que chaque membre, adulte et enfant, s'accepte non-idéal, admettant de ce fait, dans la réciprocité, face à chaque situation vitale, une mise en questions pour réinventer sa solution protectrice. Entre le oui et le non...
Le doute est un acte fondateur
Ainsi, bien qu'émanation d'une insécurité primordiale à laquelle renvoient à la fois les limites et l'inconnu, sitôt quittés les repères confortables du familier, le doute est un acte fondateur ; ainsi, par la faculté qu'il confère d'interroger un ordre pré-établi, il devient miroir de certains dysfonctionnements avérés, ne pouvant tenir lieu d'acquis irréversibles ni valoir autorité. Incitant le sujet à l'écoute d'un “ ça-voir ” inconscient concernant sa propre souffrance psychique à anticiper, il est souvent à l'origine d'une démarche psychanalytique. Celle-ci propose de ne pas se soumettre corps et âme au pouvoir aveuglant d'une science extérieure supposée toute-puissante ; elle suggère de puiser en soi les ressources pour dénouer, autant que faire se peut, le symptôme qui fait obstacle à la réalisation d'un désir ; il s'agit, là aussi, d'améliorer sa relation au monde et à soi-même, en atténuant la portée de certains déterminismes dont elle modifie en profondeur l'ordonnance ; il s'agit encore de régénérer les germes d'une vérité supportable à travers les méandres de l'histoire personnelle, familiale et généalogique. Voie de prédilection d'une responsabilité sociale véritable, réceptive aux mutations périodiques et autres inéluctables évolutions, laissant à l'esprit liberté et initiative, l'exigence du doute, parce qu'elle tend à reconsidérer les perspectives relationnelles, favorise les meilleurs accords : elle permet d'avancer en harmonie avec soi-même. Tout en répondant souvent à une inquiétude, en même temps qu'elle la réveille, elle peut aussi naître de la conscience de laisser sa part de liberté à celui ou celle sur qui le doute se porte. En effet, mère ou père, ne peut-on se demander au détour d'un chemin “ quel enfant ai-je mis au monde ? ”. Il devient dès lors essentiel d'observer la croissance de sa progéniture ; tout en lui apportant nourriture et lumière, soin et oxygène, confort et fluidité, il n'est pas question de chercher à l'influencer autrement par des affirmations dont la vérité, toute subjective, ne tiendrait pas compte de la richesse et de la nécessité d'une expérience personnelle. Autrement formulé, le doute, révélateur de la vulnérabilité humaine, serait aussi la force de celui qui l'ose et se l'autorise : il incite à mettre en mots l'étrangeté et à penser ce qui fait question pour en saisir le sens. Voilà bien de quoi aider l'enfant à s'accepter et, de fait, à se décider...
Virginie Megglé
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