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La psycho
dans Signes & sens
Trouver le sens de sa vie
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Alors que nous employons le terme « sage » pour qualifier l’enfant qui procure entière satisfaction quand il correspond au désir des adultes, l’autre acception du mot correspond, dans l’inconscient collectif, à l’archétype du vieil homme Sage. Celui-ci symbolise la perception supérieure, apparu à Carl Gustav Jung sous les traits de Philémon. On l’imagine souvent solitaire : dans le jeu du tarot initiatique, il est «L’ermite» affublé du nombre 9, vieillard expérimenté s’éclairant avec une lanterne, sondant le chemin avec un bâton…
Comme à la recherche d’une seconde naissance, son maître-mot est la persévérance. Le philosophe Socrate, dont la mère était sage-femme, incarne bien l’image de celui qui sait au-delà des apparences. On le disait accoucheur d’âmes et sa réputation a traversé les époques. Philosopher, c’est apprendre à mourir, écrivait Michel de Montaigne, un autre amoureux de la sagesse. À croire que tout tourne autour d’une question essentielle : le sens de la vie. Il est donc naturel qu’un âge avancé soit propice à essayer de résoudre cette passionnante énigme.
Le renoncement
La société védique – issue du Veda, recueil de textes sanscrits – prévoit quatre étapes dans la vie humaine : la première consiste à étudier, la deuxième à fonder une famille et à prendre sa place dans la société, la troisième à effectuer une retraite afin d’accéder au quatrième stade, celui du renoncement. Ainsi, à partir de cinquante ans, il n’est pas rare que le chercheur spirituel védique, après avoir mis ses affaires en ordre, s’éloigne du monde pour intégrer un ashram (sorte de monastère) dans lequel il va se consacrer à la sagesse. Ce détachement progressif le prépare au renoncement définitif. La sagesse indienne considère la vieillesse comme une opportunité riche d’enseignement puisque débarrassée du paraître et allant à l’essentiel. Vous n’êtes pas le corps, enseignait Ranjit Maharaj, à quatre-vingts ans passés. Ou encore : La peur est toujours présente en la nature humaine. Tout le monde a peur, parce que chacun croit qu’il est le corps…
Un messager de vie
Le Sage a fini de courir après des chimères. Il les a parfois expérimentées et peut en témoigner mais il n’est surtout pas désabusé. Passionné par l’humanité, tel Le Prophète de Khalil Gibran, il nous transmet l’indicible : Tout ce qui est dans la Création existe en vous et tout ce qui existe en vous est dans la création… Messager d’espérance, le Sage nous assure que notre vie a un sens pour peu qu’on sache en décoder les signes. La vie, nous dit-il, n’est pas le fruit du hasard. La condition humaine, renchérit le sage bouddhiste, est l’opportunité à ne pas laisser passer. Accepter de vivre, c’est aussi accepter son corollaire inversé qui est de sans cesse mourir à soi-même, libéré de ses certitudes étriquées et dogmatiques. À quoi bon d’ailleurs, croyant ou non, s’inquiéter d’une mort inéluctable alors que nous sommes encore vivants !
La philosophie analytique
L’inconscient ne connaît pas le temps, nous dit Freud, autre Sage des Temps Modernes. Au commencement était le ça, continue-t il. Et là où était le Ça, le Moi doit advenir, conclut-il. Vaste programme que Carl Gustav Jung complète en proposant, à partir de quarante ans, la grande psychothérapie pour celle ou celui qui veut aller plus loin sur le chemin de la Connaissance. Dans le sens d’une transformation radicale propice à la réalisation de l’Être, on retrouve le Connais-toi toi même et tu connaîtras l’Univers et les Dieux, cher à Socrate. L’adage ne date donc pas d’hier. Il s’agit d’aller vers un principe de réalité, certes pas toujours idyllique mais, en tout cas, débarrassé des duperies d’un miroir aux alouettes. Prendre le Soi (terme emprunté aux philosophies orientales) comme sujet d’étude, loin d’être nombriliste, amène au contraire à une plus grande compréhension d’autrui. De son côté, Emmanuel Lévinas, philosophe contemporain, s’appuyant sur Je est un autre, expression attribuée au poète mystique Rimbaud, développe la théorie selon laquelle l’indispensable éthique de l’Homme réside en sa responsabilité envers les autres. Le Sage a donc un devoir de transmission par le renoncement de lui-même, sans en attendre le moindre bénéfice conscient ou inconscient. Autant dire que la perspective est passionnante et mérite le travail de toute une vie pour peu qu’on se laisse toucher par ce que Lévinas nomme la philosophie du visage, c’est-à-dire la nécessité absolue de réconcilier les opposés.
Laurent Lévy
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