Le bonheur, concept inventé, débattu depuis des siècles par les écrivains, les philosophes, les sciences humaines a fait couler beaucoup d'encre et nombreuses sont les interprétations allant de l'abstraction la plus inaccessible à l'instant le plus trivial. Intéressants, ces points de vue le sont tous ; chacun peut y choisir la version la plus intellectuellement attrayante, celle qui s'ajuste le mieux à son état d'esprit mais, bien souvent, la plupart de ces définitions semblent incompatibles avec notre vie de tous les jours, comme si le bonheur se situait dans des exceptions en dehors du quotidien, à côté, à part.
Certains se sentent déprimés, nombre de personnes semblent évoluer au cœur d'une espèce de grisaille où les ouvertures sur la lumière et la couleur sont représentées par les vacances et les week-ends. C'est le bonheur que l'on attend, comme un cadeau. C'est un peu notre culture. Alors, le bonheur doit-il s'envisager comme une quête, une récompense ou peut-il se décréter, se concocter, maintenant, tout de suite ? Doit-on l'attendre ou peut-on le prendre ?
Renoncer au bonheur suprême
Construire notre bonheur dans notre quotidien, tel est le propos qui nous intéresse. Il ne s'agit plus d'attendre le bonheur, de l'attraper quand il se présente mais de se mettre en situation de le générer et de le bâtir. Le programme semble ambitieux ; il est, en fait, assez simple. Il commence, peut-être, par envisager de revisiter nos principes éducatifs. Où nous parle-t-on du bonheur lorsque nous sommes enfants ? Qui nous en parle et selon quel modèle ? Comment sommes-nous éduqués au bonheur ? Personnellement, les seules références sérieuses sur la question provenaient de la paroisse de mon quartier, lieu où je me rendais deux fois par semaine, inscrite pour ce cursus extra-scolaire complémentaire. L'école devait m'enseigner le monde et son fonctionnement ; le catéchisme et la messe devaient me fournir des réponses sur les mystères de la vie, le sens des choses. Dans les grandes lignes de cet enseignement, destiné à des enfants de 8 à 11 ans impressionnés par les autorités qui nous révélaient ce que nous devions savoir, voici ce que je retenais : un grand bonheur m'attendait, non pas ici et maintenant, mais plus tard, bien plus tard, bien après ma mort, si je prenais l'engagement de ne pas céder au plaisir, si j'acceptais le dénuement, les sacrifices, bref, une certaine austérité... Telles étaient les conclusions simplistes auxquelles j'étais rendue après cet enseignement tout aussi simpliste. Lâchement, je renonçai à ce bonheur suprême et décidai de vivre le bonheur dans ma vie de tous les jours, le plus souvent possible.
La bonne et la mauvaise nouvelle
Marquée à mon insu par la force de cet enseignement, j'ai longtemps été tiraillée entre les différentes questions et réponses que je pouvais formuler face aux événements qui se produisaient dans mon existence. Jusqu'où étais-je responsable de mon bonheur ou de mon malheur ? Jusqu'où le sort, le destin décidait-il pour moi d'un subtil dosage entre les deux ? Cela avait-il un rapport avec mon comportement ? Etais-je récompensée ou punie ou bien n'avais-je pas encore compris ce que j'avais à faire ? Nombre d'entre nous se posent ou se sont posés ces questions. Au fil du temps et des expériences, je tirai quelques enseignements :
- D'abord j'avais la chance de vivre dans un contexte qui me permettait de me poser ces questions et de disposer d'une liberté quant au choix des réponses.
- Dans la grande majorité des cas, j'étais responsable de mon bonheur ou de mon malheur.
- Pourtant, il existait bien des événements qui
arrivaient sans que je n'y puisse rien.
- Cependant, j'avais le choix d'y porter un certain regard et de décider comment je pouvais interpréter ce type d'événement. Il s'agit là d'une bonne et d'une mauvaise nouvelle, la bonne nouvelle étant que nous ne sommes plus soumis aux lois aléatoires d'un jackpot du bonheur qui choisirait de nous rendre heureux. La mauvaise nouvelle est qu'il faut œuvrer pour son bonheur, y travailler, le conquérir, position engageante et proactive qui peut en décourager certains. Mais, avant d'évoquer une méthode, un mode d'emploi visant à atteindre cet objectif, définissons ce que nous entendons par
bonheur dans le cadre de cette nouvelle proposition.
La bonne heure…
Le bonheur est un état interne, un sentiment puissant irrigué par une émotion positive qui survient à un moment bien précis où il y a cohérence, fluidité dans l'interaction entre
qui je suis, c'est-à-dire mes valeurs, mes croyances, le sens que je donne à ma vie et le contexte dans lequel j'existe à cet instant-là. Il s'agit en fait de la bonne heure. Plus l'ensemble de notre structure mentale est investie à différents niveaux dans cet instant, plus notre bonheur est puissant. Pour illustrer notre propos, prenons l'exemple d'un danseur qui dorme une représentation. Après des années d'apprentissage, il a acquis une belle technique. Au moment d'entrer en scène, il se sent en pleine possession de ses moyens. La musique donne le signal du départ et il entame sa prestation. Son corps obéit à son esprit dans le moindre détail ; les enchaînements se succèdent et il est juste, juste avec la musique, juste avec ses émotions. Il oublie la technique, il sent la musique, il invente, il perfectionne. Il peut sentir que le public est entraîné ; il lui communique sa maîtrise, sa joie de se sentir libre, bref, il est heureux. C'est un bonheur généré, construit et qui peut être renouvelé à chaque fois qu'il décidera de danser. Cet exemple montre les différents niveaux concernés :
- Ceux de la personne : ses apprentissages, ses valeurs, ses croyances, sa passion (ce qui fait sens pour lui) et son corps.
- Ceux du contexte : la scène, la musique, le public et, éventuellement, ses partenaires.
Pour ce danseur, pendant quelques minutes, il y a eu un alignement parfait de ces niveaux, une cohérence, qui a permis à l'ensemble des éléments de s'emboîter tel un puzzle, de prendre de la puissance, de produire une émotion pure qui lui indiquait qu'il était à sa place dans sa vie et qu'elle avait un sens. C'est le bonheur au sein d'un contexte quotidien, celui qui concerne chaque jour de la vie de ce danseur.
Une identité qui s’exprime
Nous vivons tous dans un contexte professionnel, socio-économique ; nous y évoluons chaque jour. Trouver des moments de bonheur, en dehors de ce contexte, est finalement assez aisé. Bien souvent, il suffit juste de lui échapper et de grappiller des moments de liberté loin de la pression quotidienne. Le bonheur décrit ici se trouve étroitement lié à la notion d'autonomie et de liberté. En effet, quand nous sommes en cohérence, nous ne faisons plus qu'un avec les différents niveaux de notre personne ; nous ne nous sentons plus prisonniers de blocages, de parasitages, d'insatisfactions, de déséquilibres ; nous sommes alignés naturellement sur un axe fluide, léger et consistant à la fois, celui de l'autonomie, de la cohérence, de la liberté. Le bonheur s'appuie donc sur un cercle vertueux : la cohérence interne, le sens, l'interdépendance. La cohérence interne consiste tout d'abord à identifier
qui je suis vraiment, à connaître ses croyances, les énoncer, les revisiter et les remettre en questions si besoin est ; il s'agit aussi de connaître ses valeurs, être capable de les nommer et vérifier si nous les faisons vivre dans notre quotidien ou comment leur donner vie ; c'est également connaître ses peurs, comprendre qu'il n'y a pas d'échec mais seulement de mauvais résultats et accepter la notion d'apprentissage constant. Cette première étape étant achevée, la cohérence impliquera de mettre en adéquation ce que je suis, mes comportements, mon langage et ma physiologie. C'est l'instant où les différentes parties de l'individu parlent d'une seule et même voix. La cohérence, c'est l'identité qui s'exprime.
Quittez la salle d’attente !
Le sens que l'on donne à sa vie passe par un projet, par des objectifs. Avoir un projet, c'est pouvoir exprimer ses valeurs, ses compétences, ses qualités et même ses défauts, ses goûts, ses passions, tout en étant soutenu par des croyances dynamisantes et positives. Ensuite vient la mise en œuvre d'une méthode et d'un plan d'actions pour concrétiser ce projet, pour pouvoir vivre chaque jour dans une dynamique qui est celle de son choix et de son désir.
L'interdépendance est caractérisée par une harmonie entre la personne autonome et son environnement. C'est le stade qui passe par la maîtrise de sa communication avec cet environnement. Ainsi, la boucle est bouclée et l'individu, maître de son destin, devient alors l'artisan de son bonheur.
Jules Renard disait :
Si l'on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande salle serait la salle d'attente. Notre propos sur le bonheur nous invite à quitter cette salle d'attente et à emprunter le chemin de notre vie quotidienne sur lequel les instants de bonheur seront de plus en plus fréquents ; initiés par nous, les actes que nous poserons auront un sens, celui qui nous relie à la vie.
Florence Rollot*
*Pour en savoir plus, lire :
« Le bonheur si je veux »,
paru aux Éditions de l’Homme