Selon Freud, « la pulsion sexuelle met à la disposition du travail culturel des quantités de force extraordinairement grandes… » ; il nomme « cette capacité d’échanger le but sexuel originaire contre un autre but, qui n’est plus sexuel mais qui lui est psychiquement apparenté, capacité de sublimation ». Ainsi, considérer la Fondation comme un catalyseur de progrès* est entièrement… fondé (tout mauvais jeu de mots mis à part).
Je visitais il y a peu une exposition de peinture à la Fondation Pierre Gianadda à Martigny, enthousiasmée de fait par l’idée que l’initiative privée puisse ainsi se mettre au service du collectif, de l’autre. Pour être franche, jamais je n’avais songé à la notion de Fondation. Bien sûr, de temps à autre, les projecteurs de l’actualité éclairent telle ou telle «célébrissime», comme la Fondation Maeght ou l’Institut Pasteur mais je dois de dire que j’y voyais des organisations, des structures assez vagues somme toute. Sortie de cette visite où je pris un réel plaisir, je me dis que c’était une chance que d’avoir pu accéder à ce que, sans ce lieu, je n’aurais sans aucun doute jamais pu voir. Quel cadeau ! Ainsi donc ma curiosité éveillée, j’ai été amenée à réaliser que l’institution non gouvernementale, reconnue d’utilité publique, qu’est la Fondation, remonte… au droit romain ; et, de nos jours, il en existe quasiment partout dans le monde ; elles sont familiales, individuelles ou collectives ; elles touchent à des domaines d’une diversité insoupçonnée, allant de la recherche à la protection du patrimoine naturel, de la bienfaisance au soutien de projets d’avenir, de l’action culturelle aux services sociaux… ; elles sont de locales à internationales ; leurs réalisations, tel un inventaire à la Prévert, elles aussi sont des plus variées, d’une fusée à un vaccin, un théâtre, un télescope ou au financement de projets, à l’organisation d’expositions… ; elles mobilisent des ressources multiples, financières certes mais encore méthodes-idées et surtout des hommes. Car enfin cette étonnante et foisonnante variété, d’ailleurs garante de pluralisme, a pour dénominateur commun les hommes qui les ont fondées, animés qu’ils sont de motivations altruistes. Il est facile de pointer l’excès en la matière et de ne parler que de ceux qui par là s’élèvent un monument mégalomaniaque à leur propre gloire ; il en est mais ils sont minorité.
Certains des buts avoués sont rien moins qu’ambiteux : les Fondations Ford, Rockefeller, Carnegie pour les U S A ou la Fondation de France n’ont-elles pas pour objectif le progrès humain ? Il est tout aussi aisé alors de gloser sur une quête idéale et pédante. Mais cette exigence qui, ici, rime avec responsabilité et solidarité, n’est-elle pas aussi le moindre des respects de cette altérité si chère à Emmanuel Lévinas ? N’y a-t-il pas du positif à un Idéal du Moi, «fondation» de relations subjectales ?
Cela n’autorise nullement ces institutions à une totale liberté de manœuvre. Paraissant dangereuses lorsque leur fortune est telle qu’elles ont alors une puissance susceptible de leur permettre de rivaliser ou même d’échapper à l’Etat, elles sont, de facto, régies par des statuts légaux les inscrivant dans des limites. Il est vrai aussi que les mécènes des temps modernes, lorsqu’ils sont industriels et commerciaux, fondateurs de telles institutions, y ont un intérêt publicitaire. Mais pourquoi pas dans le cas précis ? Les moyens mis en œuvre font œuvre collective, étant d’intérêt général. Bien qu’utilisée (mais nul n’est dupe) ce type de Fondation, pour autant, s’inscrit dans une dynamique de transmission.
Pour un particulier qui crée une Fondation, il en va autrement ; il fait acte philanthropique dont, seul lui sait ce qui l’y a déterminé. Il « affect-e » tout ou partie de ses ressources à une œuvre désintéressée, utile à l’autre. Et c’est alors un don, sublimation possible d’une analité, passage de la possession, pour soi seul, à la mise à disposition, pour autrui, en un mouvement qui va de l’individuel au collectif, selon un processus de socialisation et d’humanisation. C’est offrir sans rien attendre en retour que la satisfaction d’avoir offert et laisser l’autre sujet libre de choisir ce qu’il en désire. Plus alors d’emprise mais un lâcher-prise. Une Fondation ne vit que par les hommes qui l’animent par leurs initiatives, leur esprit d’entreprise, avec toute la constance et l’activité nécessaires à une «construction». Mais, cependant, une Fondation ne vit que pour les hommes pour lesquels elle pose un acte d’Amour.
Rébecca Alexandro
*Encyclopédie Universalis (1999).
- Existent actuellement près de 30000 Fondations aux Etats-Unis pour environ 300 en France où la notion «d’intérêt général» relève d’abord des affaires de l’Etat.
- Années de création de quelques Fondations françaises : Institut Pasteur (1887) - Fondation Curie (1921) - Fondations Royaumont et Maeght(1964) - Fondation de France (1969).
