La kleptomanie se définit comme étant une « manie » incitant certains individus à voler. La manie est ici à entendre, pour celui (ou celle) qu'elle habite, en tant que tendance portée à l'extrême. Véritable crise irrésistible et surtout répétitive, son origine est attribuée à une agitation excessive du psychisme…
Pour l'observateur, la conduite du kleptomane est insolite, voire même déroutante car n'obéissant a priori à aucune logique. D'autant que l'on remarque que les kleptomanes sont en règle générale des personnes qui ne manquent de rien. Ne raconte-t-on pas que la Reine Christine de Suède était kleptomane ? Il s'agit le plus souvent de la fauche d'objets d'usage superflu, de peu de valeur, tout au moins en apparence. Ce n'est donc pas le besoin qui suscite le geste, c'est comme une sorte d'acte manqué dirons-nous. En ce sens, on constate que les kleptomanes se positionnent fréquemment de manière à se faire « prendre », à être « dévoilé », comme si il y avait là précisément quelque chose à voir. Certains iront même, sans la moindre résistance, jusqu'à se laisser reprendre les objets volés qu'ils ont soigneusement conservés.
La kleptomanie, avec son mécanisme compulsif, témoigne d'une perturbation, ne serait-ce que transitoire, du fonctionnement de l'esprit ; elle se trouve assimilée ainsi à une véritable maladie. De sorte que l'on rencontre dans l'entourage du kleptomane une réelle propension à l'excuser, avec des familles et des conjoints plus ou moins conciliants mais aussi des commerçants ou des amis accommodants ! Tous font alors preuve d'une certaine indulgence, proche d'une forme de complicité... La kleptomanie correspond à ce que l'on a coutume de nommer une névrose obsessionnelle. C'est une idée qui s'impose provenant, en fait, d'un évènement pénible dans le passé de l'individu. Pour oublier cet évènement, il y a remplacement de cette pensée intolérable génératrice d'angoisse par une autre sans lien apparent, d'où le côté absurde de la situation. Lors de son passage à l'acte, le kleptomane éprouve un soulagement ; il a l'illusion de se protéger contre la sensation insoutenable ressentie lors de l'évènement dit « traumatique ». À chaque fois, l'angoisse disparaît mais pour mieux resurgir, plus tard, lorsque de nouvelles circonstances s'y prêteront. De fait, il y a mise en place d'un cercle vicieux.
Le kleptomane souffre, il sait que ce qu'il fait est mal et pourtant il ne peut faire autrement. La satisfaction procurée sur l'instant est plus forte que tout, avec incapacité à prendre en compte les conséquences. On parle à ce stade d'un « bénéfice économique », à tous les sens du terme. Inévitablement, un sentiment de culpabilité s'établit. Toutefois, comme l'obsession laisse sans repos, qu'elle se transforme en souci permanent, s'installe alors une lutte incessante entre l'impossibilité de faire différemment et la culpabilité résultant de cette attitude dévalorisante. La pathologie engendre de surcroît de la honte. Mais que cherche donc à récupérer le kleptomane ?
Derrière cette manie se cache un traumatisme affectif de l'ordre de la frustration, remontant à l'enfance. Ce désir d'objet « matériel » est l'expression du manque d'un objet dit d'amour. Le vol est en fait destiné à retrouver, à compenser une perte affective. La kleptomanie s'étaye ainsi sur le deuil non accompli de la perte de cet objet d'amour et de la privation affective qui lui est rattachée. Le drame de cette histoire, outre l'envahissement de la vie mentale, est qu'il s'agit là d'un but inaccessible, véritable leurre que de croire que l'objet chapardé puisse combler le vide. Ainsi, l'objet se dérobe sans cesse, conduisant le kleptomane de déception en déception pouvant aller, dans certains cas, jusqu'à la mise en place de processus mélancoliques... Il n'y a, et on s'en doute, pas de kleptomane heureux. Néanmoins, la kleptomanie ne peut être en aucun cas envisagée en tant que maladie incurable qui obéirait à une sorte d'inéluctable fatalité. En effet, le kleptomane lui-même, de manière très implicite, va donner à voir, va livrer en quelque sorte des indices sur l'origine de sa pathologie. Le choix des objets volés, leur nature ou leur usage n'est absolument pas anodin et toujours en lien direct avec ce qui est recherché. C'est le cas de Marie qui affectionnait tout particulièrement les cendriers au point de se constituer une véritable collection. Enfant, elle avait perdu son père, lequel avait été décrit par la famille comme un grand fumeur. De sorte que Marie, partout où elle allait, fantasmait qu'en prenant le cendrier elle pourrait ainsi récupérer le fumeur qui lui était associé. C'est également l'exemple de Blanche dont la fixation s'était portée sur des collants dont la marque porte le nom d'un aéroport célèbre. En effet, son histoire familiale relatait le décès prématuré d'un oncle qui s'était tué en avion. Ainsi, Marie et Blanche ne cherchaient en fait qu'à ramener à la maison leur « cher disparu »... Guérir de la kleptomanie demande donc tout d'abord à consulter un spécialiste et, de préférence, un psychanalyste, dont une des spécificités méthodiques et méthodologiques consiste à faire faire du lien langagier à ses patients. Les consultations vont ainsi, en premier lieu, permettre l'identification de l'objet d'amour manquant ; dans un second temps, le processus de deuil va s'élaborer, invitant alors l'analysant à entrer enfin et à son rythme dans la réalité de l'origine de sa névrose pour s'en libérer.
Xavière Santoni
