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La psycho
dans Signes & sens
Je ne veux plus être groopie !
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Notre monde médiatisé à outrance a engendré une catégorie de disciples en mal d’identification. Le terme « groopie » ou « groupie », issu du mot groupe, est né dans les années 70. Il faisait référence aux fans de groupes musicaux, tels les Beatles, les Rolling Stones ou les Who.
Aujourd’hui, on parle de groopie lorsque quelqu’un (surtout quelqu’une) est admirateur, voire fanatique d’un personnage célèbre, qu’il soit musicien, chanteur, sportif ou même issu de la scène politique… Mais quel est donc ce mécanisme psychique qui fait que l’on peut se sentir attiré par une idole, faisant parfois de nous un véritable dévot, au risque d’annihiler tout esprit critique ?
De l’identification à l’hystérie
L’enfant a besoin de s’identifier pour se construire. D’abord à la mère, puis au père. Vient ensuite la période appelée phase phallique où il devra choisir de renoncer au sexe qu’il n’a pas : féminin s’il est garçon, masculin s’il s’agit d’une fille, ceci relevant d’un processus inconscient. Cette phase de difficulté à choisir est le lieu de l’hystérie. Il est intéressant à ce stade de remarquer que les garçons des années 70 portaient les cheveux longs et que les séances d’hystérie collectives, essentiellement féminines, concernaient souvent des vedettes à l’aspect androgyne. Les concerts de Claude François, avec ces filles s’évanouissant en plein spectacle, en étaient la preuve. Les idoles sont devenues au fil des décennies plus hard et davantage asexuées. Témoin, Marylin Manson dont on ne saurait dire si le chanteur est homme ou femme.
Un désir d’impossible
Le processus d’idéalisation conduit à une déconnexion du réel et du rapport au temps. Busty, journaliste dans une revue de rock, raconte l’histoire de ces jeunes fans prêtes à tout pour conquérir leur idole. Dans son ouvrage « Groupies ! », publié aux Éditions Scali, elle retranscrit le témoignage de Pénélope, une passionnée de groupes anglais : Pour moi, une groupie c’est une personne qui perd toute dignité consciemment pour le groupe ou la célébrité qu’elle adule… Marianne Faithfull est à l’origine une groopie. Elle parvint à se faire épouser par Mick Jagger, le chanteur au look ambivalent des Rolling Stones, mais l’idylle ne dura pas. Marianne multiplia les conquêtes de rock stars. Busty poursuit son analyse de façon pertinente en écrivant que ces jeunes femmes veulent en fait l’homme impossible, de toute façon loin d’elles, sur sa scène, séparé par des barrières généralement dures à franchir, objet de la convoitise générale… D’où peut-être, chez les plus collectionneuses, la nécessité d’enchaîner les rock stars, si elles y parviennent : une fois que l’homme impossible est devenu possible, il en faut un autre… Il y a de toute façon un besoin de punition et un certain masochisme à vouloir être groopie. Il s’agit souvent de vivre par procuration et de subir les brimades d’un dieu vivant. Les groopies sont en effet souvent mal traitées mais n’en continuent pas moins à vouer une dévotion quasi maladive à un être inaccessible sur lequel elles projettent un désir impossible…
Comment en sortir ?
Si admirer un personnage médiatique peut motiver, par une saine identification, une adolescente (ou un adolescent) et entraîner chez elle (ou lui) des passages à l’acte évolutifs (choix d’une pratique musicale, sportive, professionnelle), la situation reste pathologique quand l’attitude est béate et soumise. Vivre à travers autrui, par procuration, c’est ce qu’a fini par refuser Nadine : Issue d’un couple divorcé, vivant avec ma mère qui attendait le retour de mon père, ma seule échappatoire était une bande de copines fans de Patrick Bruel. Nous achetions tous ses disques sans les avoir écoutés. Mes économies étaient consacrées à acheter les billets de concert et à payer les déplacements. Nous nous renseignions selon les villes pour savoir où notre idole passait la nuit. Il m’est arrivé d’attendre 24 heures devant une entrée des artistes pour être sûre de l’apercevoir. Un jour, j’ai été licenciée de mon emploi de vendeuse pour avoir pris dans la caisse l’argent nécessaire pour un énième spectacle. Alors, tout s’est effondré ! J’ai dû mon salut à une collègue de travail qui m’a conseillé de voir son psy. J’étais tellement au fond du trou que j’ai accepté. Et mes yeux se sont peu à peu ouverts. Ma « Bruel mania » a pris tout son sens. Si je savais en effet consciemment que la vedette que j’aimais le plus au monde portait le prénom de mon père, je n’avais pas intégré qu’inconsciemment j’aurais tout sacrifié pour répondre au désir de ma mère jusqu’à m’en « casser la voix », comme le titre de la chanson de Patrick Bruel. J’ai entendu, lors d’une séance, « casser la voie ». J’ai réalisé, par cette prise de conscience, que j’avais ma propre voie à suivre. Ayant retrouvé un travail dans un magasin de disques, j’ai pris des cours de chant avec mes économies. Si je ne renie pas les chansons et le talent de mon chanteur préféré, désormais c’est fini : je ne veux plus être groopie !
Ghislaine Padovan
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