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La psycho
dans Signes & sens
Jeune et dépressif :
quelles solutions ? |
Il suffit de se remémorer sa propre adolescence pour prendre conscience que cette période de la vie ne renvoie pas seulement à une époque d’insouciance exempte de tristesse. Les passages dépressifs, bien que normaux et formateurs, ont peu ou prou perturbé tout un chacun. Ce qui ne signifie en aucun cas que notre ado dépressif traverse les mêmes ornières et qu’il suffirait qu’ils suivent nos directives pour en sortir. Si des solutions existent bel et bien, elles ne doivent pas être synonymes de recettes applicables pour tous et encore moins d’injonctions éducatives. Cependant, la psychanalyse, la psychologie et la psychopédagogie offrent des pistes de réflexion salutaires…
La psychanalyste Françoise Dolto a consacré un ouvrage complet (« La cause des adolescents ») à ces juniors en mal de vivre. Le premier sage conseil qu’elle induit, pour ce qui est des parents légitimement inquiets, consiste à ne pas en rajouter dans la dramaturgie : Un jeune individu sort de l’adolescence, écrit-elle, lorsque l’angoisse de ses parents ne produit plus sur lui aucun effet inhibiteur… Il s’agit donc de ne pas prendre trop à son compte la souffrance de son enfant en culpabilisant outre mesure mais plutôt d’essayer de comprendre ce qui se passe au niveau de son psychisme en pleine transformation.
Puberté et réactivation œdipienne
Selon la psychanalyse, l’inconscient du petit d’Homme élabore une première phase œdipienne de 3 à 5/6ans au cours de laquelle il vit une histoire d’amour fantasmatique avec ses parents. À partir de l’âge de 7 ans, il va y renoncer et diriger ses pulsions psycho-sexuelles vers l’extérieur. C’est la période dite de latence où il apprend à lire et à écrire. Puis arrive la puberté et, avec elle, une réactivation œdipienne. L’ado n’est plus un enfant mais pas encore un adulte. Cette période de mue (Françoise Dolto parle de « complexe du homard »), à la fois physique et psychique, pose toujours problème mais se manifeste différemment selon l’histoire et la sensibilité du futur adulte. Pour Dolto, la sexualité naissante s’accompagne d’angoisse et de culpabilité, le jeune ne comprenant pas vraiment la transformation qui s’opère en lui. Pour le garçon, lors de la première pollution, il est probable que l’angoisse de castration sous-tende l’impression de vide, explique-t-elle, qui peut aller jusqu’à une réaction dépressive. Il semblerait que ce moment soit mieux vécu par le sexe opposé : Les mères parlent plus volontiers à leur fille du « sang menstruel » qu’on ne parle aux garçons de la « première pollution », continue-t-elle. Quoi qu’il en soit, il est question d’une situation inconfortable qui impose de faire le deuil de son statut d’enfant. Si, pour certains, cette étape passe par des comportements explicites d’opposition, pour d’autres l’épisode dépressif est la seule réponse dont ils disposent pour signaler leur malaise.
Chagrin d’amour et autres perturbations
Bruno Humbeek, psychopédagogue et auteur d’« Un chagrin d’amour peut aider à grandir », chez Odile Jacob, évoque l’importance que peuvent prendre les relations amoureuses adolescentes sur l’humeur mélancolique d’un jeune. Le spécialiste conseille de ne pas banaliser cette souffrance affective à l’aide de phrases laconiques comme Un(e) de perdu(e), dix de retrouvé(e)s, mais il met également en garde contre un interventionnisme apitoyé et donneur de leçon du type Moi aussi j’ai vécu ça et je m’en suis sorti… L’ado fragilisé a besoin que son mal-être soit reconnu sans qu’il se sente envahi par des conseils d’adultes qu’il vit comme infantilisants. Humbeeck attache ici une grande importance au réseau relationnel de l’intéressé. Il préconise donc de faire confiance dans un premier temps à ses pairs pour accompagner ce passage difficile. Pas question, en dehors d’une réelle demande, de se substituer aux amis de sa classe d’âge. Aujourd’hui, les réseaux sociaux, aussi discutables et discutés qu’ils puissent être sous certains aspects, peuvent se révéler des exutoires salvateurs. Inutile de fait de culpabiliser. Il s’agit de rassurer le grand enfant, sans s’apitoyer, en lui montrant que ses parents sont conscients que quelque chose ne va pas. Souvent, d’ailleurs, il est mieux que la parole circule en dehors de la maisonnée. Ainsi, de nombreux ados, sentant qu’ils en ont besoin, préfèrent se livrer à un tiers : ce peut être une grand-mère, un oncle, un cousin. Il existe toutefois des services d’écoute psychologique gratuits auxquels nos jeunes ont souvent recours. Parfois, un contact approprié au sein de l’établissement scolaire ou par l’intermédiaire d’un copain se révèlera efficace. Il n’est pas nécessaire – et même peu recommandé – que les parents soient les interlocuteurs du jeune déprimé dans la mesure où il cherche justement à se défaire du triangle œdipien qu’il forme avec ses géniteurs. Il en est à l’identique dans une famille monoparentale.
Déprime et dépression
Tous les jeunes qui ont l’air déprimé ne sont pas en dépression, précise Michèle Lambin dans « Aider à prévenir le suicide chez les jeunes, un livre pour les parents », publié aux Éditions de l’Hôpital Sainte-Justine. Il convient de faire la distinction, précise-t-elle, entre la dépression et ce qu’on appelle communément la déprime. Alors qu’un jeune passagèrement déprimé garde le contact avec ses amis, même s’il semble en perte d’énergie, il n’en va pas de même avec la dépression. Cette affection psychique sérieuse touche une minorité (environ 4 %) et il est important de ne pas la confondre avec une conséquence de la crise d’adolescence. Lorsque l’appétit et le sommeil sont grandement perturbés sur une longue durée, lorsque l’ado ne téléphone plus ou ne reçoit plus de visites, lorsque le moindre désir est inhibé, qu’il n’a plus goût à rien, il est possible qu’il s’agisse d’une véritable dépression. Dans ce cas, mieux vaut consulter – qu’il le veuille ou non – un généraliste et, éventuellement, un spécialiste du psychisme avant qu’une véritable mélancolie ne s’installe.
Bernard Jouve
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