|
La psycho
dans Signes & sens
La fierté est-elle un atout ?
|
Dans le cadre de la relation analysant/analysé, le sujet en quête d’idéal apprend à envisager l’amour de sa propre personne et à concevoir l’autoévaluation de ses actes. Mais si dépasser la fierté semble de bon aloi, encore faut-il être capable d’atteindre cette fierté, ainsi que l’observait Bernanos.
Au Moyen-Orient, en Afrique, des jeunes filles et des jeunes femmes sont mises à mort sous prétexte qu’elles ont discrédité la famille. Ce sont les fameux « crimes d’honneur », si mal nommés, et demeurant presque toujours impunis. Certains pères s’enorgueillissent même d’avoir assassiné celle qui avait entaché la réputation familiale. Ces crimes prouvent bien à quelles dérives peuvent mener la fierté, l’honneur, la gloire ou le souci de sa réputation.
L’honneur fait partie de ces vertus dont la prétendue moralité travestit l’inflation de l’ego. L’honneur peut également faire obstacle à l’amour car il entraîne une confusion entre fierté et dignité. On peut parler de fierté quand le sujet s’aime grâce à ses actes, alors que la dignité relève des actes que l’on entreprend parce que l’on s’aime. Dans le cas de la fierté, l’amour ne profite qu’à soi. Alors qu’avec la dignité, l’amour est une énergie mise au service d’autrui. Tout comme la jalousie, l’honneur pousse l’individu vers un but destructeur.
Les complexes affectifs
Spinoza fut l’un des premiers à évoquer la formation des complexes affectifs. En introduisant la relation d’objet, ce philosophe du XVIIème siècle analyse déjà les relations entre les personnes en tant que porteuses d’affects. Il distingue le principe fondamental de l’imitation des affects, à la base de toutes les relations entre sujets. La chose aimée ou haïe est elle-même identifiée comme capable de joie et de tristesse, d’amour et de haine. Ces affects peuvent interférer avec les nôtres.
Spinoza définit le mimétisme affectif comme une projection imaginaire des affects de certaines personnes sur d’autres personnes. Deux cent cinquante ans avant Freud, il décrit l’archétype de la relation transférentielle. Il ajoute : Si quelqu’un a fait quelque chose qu’il imagine qui affecte les autres de joie, il sera affecté d’une joie qui accompagnera l’idée de lui-même comme cause ; si, au contraire, il fait quelque chose qui affecte les autres de tristesse, il se considérera lui-même avec tristesse…
Fierté et honte sont toutes deux des catégories de joie et de tristesse, d’amour et de haine. Elles restent associées aux causes externes, autrement dit au jugement extérieur. Nous projetons ainsi nos propres émotions et sentiments. Nous ressentons, par mimétisme, les affects que nous attribuons à l’entourage.
« Tu peux être fier de toi » !
Ô combien ambivalente, cette phrase un brin assassine s’est cristallisée un jour ou l’autre dans notre enfance. Synonyme de reproche en son fondement, elle a pu nous laisser entrevoir aussi plusieurs axes positifs. En premier lieu, une autorisation parentale ; en deuxième lieu, des perspectives d’avenir plutôt séduisantes. Nous ne saurons jamais vraiment le nombre de couronnes de lauriers qui seront nées de cette ambivalence langagière. D’ailleurs, il apparaît raisonnable de rester fixé sur une forme de confiance qui s’en dégage. Ne retrouve-t-on pas ici quelques traits du célèbre Harry Potter ? Dans l’excellent ouvrage « Dépendances », écrit sous la direction de Joyce Haïn, paru aux Éditions Érès, Françoise Boudon-Orliac explique que la famille échoue à être perçue par ses membres comme un contenant stable et sécurisant. Effectivement, la fierté est un atout dans la mesure où tout individu aura quitté le regard de l’autre et ses limitations. Celles-ci ayant pu être liées à une idéalisation parentale ou, au contraire, au déni des géniteurs.
La place du choix
Curieusement, on ne se pose pas vraiment la question de la fierté. Notre héritage judéo-chrétien y est certainement pour beaucoup mais les coups bas de l’existence aussi. Yamina témoigne : Je suis née dans une zone pas possible. Huit personnes entassées dans un appartement HLM. Mon père, maçon au chômage. Ma mère, au foyer. Pas d’argent. Jusqu’au jour où Nordine, mon grand frère, s’est fait arrêter après avoir fait tomber une femme pour lui prendre son sac. Elle est mal tombée… Fracture du crâne. Coma. Prison pour Nordine. La honte. Le cancer de mon père a débuté six mois après. Foudroyant. À partir de là, j’ai eu la rage. M’en sortir coûte que coûte. Je suis allée voir mon ancienne maîtresse de CM2. Elle m’aimait bien. À elle, je pouvais tout raconter. Elle m’a donné gratuitement des cours particuliers. On a compris ensemble que j’étais faite pour être fleuriste. Ҫa a marché : je viens d’ouvrir ma petite boutique avec mon copain. Je suis fière…
Yamina n’implique en aucun cas qu’il y a eu réparation. Elle explicite qu’elle a bénéficié, comme tout un chacun, d’un miroir (le comportement de Nordine) qui lui laissait le choix de se réaliser ou pas. Autrement formulé, la fierté consiste simplement à ne pas s’identifier à l’agresseur, quel qu’il soit. On connaît tous le fameux « Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es »… Il faut donc souvent avoir le courage de couper un lien affectif affecté. Notre bon sens sait nous guider. Ainsi, lorsque notre interlocuteur, tout privilégié qu’il soit, oppose une parole ou une attitude contraire à la loi symbolique, choisissons de ne plus le fréquenter. Ce sera, parallèlement pour lui, une belle et fière occasion de s’interroger quant à notre désertion.
Sylvain Maury
Être dans l’instant présent
Sujet à la mode, il s’agirait de vivre le plus possible chaque minute qui passe. À juste titre. Même Freud, déjà à son époque, le préconisait. L’ensemble des courants philosophiques aussi. Alors, pourquoi ce conseil ? Celui-ci considère, en fait, tout processus d’équilibre de vie. Vivre au présent évite de confondre son histoire, celle de ses parents ou encore celle de ses aïeux. Le bénéfice s’impose comme une certitude : les répétitions négatives de la filiation s’arrêtent d’évidence. Ce qui n’est pas négligeable. D’autant qu’avant, ce n’était certainement pas mieux. Aujourd’hui, c’est simplement différent. Chaque décennie offres ses avantages. Profitons-en !
|
