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La psycho
dans Signes & sens
La psychanalyse appliquée
au champ social |
Dans une société où les politiques sociales tendent vers une normalisation de l’individu, il semble important de montrer une certaine manière d’aborder le travail social. Celle qui prend en compte la dimension du sujet.
En effet, si tout est joué d’avance, si tout est inscrit dans nos gènes, alors le champ du travail social devient uniquement un moyen de diagnostiquer les failles des individus. Tel comportement, telle situation précaire, sont autant de justifications pour classer, catégoriser les sujets. Les nouvelles lois sur l’immigration, avec le dépistage ADN, s’inscrivent ainsi dans cette logique.
Auguste Aichhorn, le précurseur
Aichhorn (1878-1949) peut être considéré comme le pionner de la rencontre de la psychanalyse et du travail social. Avant de découvrir la psychanalyse, il débute sa carrière professionnelle au début du XXème siècle en tant qu’enseignant. De 1912 à 1914, il se forme à l’université, à la clinique des enfants de Vienne dans le département du professeur Lazar, consacré à la pédagogie curative. Pendant l’été 1918, il est chargé d’organiser et de diriger un camp de repos d’une capacité d’accueil de 3000 enfants : il en est le directeur et forme les enseignants ou éducateurs. Les enfants qu’il reçoit dans ce foyer sont issus de familles de milieux défavorisés, envoyés par le Service d’aide à l’enfance. Parmi eux, certains sont orphelins ou abandonnés, du fait de la première guerre mondiale. En 1922, Aichhorn adhère officiellement à l’Association psychanalytique de Vienne, soutenu par Anna Freud. Il travaille avec de jeunes délinquants. Son mode d’action est révolutionnaire. Dans une société qui ne connaît que la répression, il permet aux jeunes qu’il accueille de pouvoir parler.
Le respect d’une éthique
Pour Aichhorn, le travailleur social doit être capable d’une véritable introspection pour pouvoir aller à la rencontre du jeune (ou de l’enfant). Il ouvre ainsi la porte à l’éthique psychanalytique appliquée au champ social, en ce sens que l’individu n’est pas défini par ce qu’il a pu faire, mais par ses potentialités. Un jeune délinquant est en souffrance. C’est cette souffrance qu’il faut mettre à jour et non pas essayer de le rééduquer tout en le laissant dans ses déchirements. Après Aichhorn, le courant psychanalytique anglais a également contribué à une rencontre entre le travail social et la psychanalyse. Spitz et Winnicott ont largement influencé le monde médico-social. Les travaux de Spitz dans les années 1940, bien avant Françoise Dolto, ont permis de mettre en évidence les carences affectives des enfants abandonnés mis en pouponnière. Les travaux de Winnicott concernant les adolescents asociaux ont également contribué à une nouvelle dimension sur la souffrance de l’adolescent. Ces deux auteurs ont donné un éclairage primordial aux travailleurs sociaux, notamment dans la prise en compte des manques dont le sujet a été victime au cours de son histoire infantile : séparations précoces, négligences, mauvais traitements…. C’est grâce à Spitz que nous connaissons l’Hospitalisme et ses conséquences désastreuses.
Depuis une vingtaine d’années, le champ du social (tout du moins une certaine partie de ses travailleurs) et de la psychanalyse entame une forme de résistance face à une société qui voudrait voir nos enfants catalogués de plus en plus tôt. Joseph Roussel, éducateur et psychanalyste, a créé en 2004 le premier colloque du travail social et de la psychanalyse. D. Roquefort, ancien directeur de foyer et lui aussi psychanalyste, met en parallèle ses expériences analytiques et éducatives. B. Decamps et P. Barthélémy ont créé depuis 2003 un diplôme universitaire – « Clinique du travail social » –, permettant aux éducateurs ou assistants sociaux de bénéficier d’une réflexion sur la place de l’individu au sein de l’institution. Il est également à noter le travail de Françoise Gaspari-Carrière auprès d’enfants placés en institution, auteur de « Les enfants de l’abandon ».
La relation éducative
S’il est clair que le travailleur social n’est pas un analyste, le miroir qu’offre la psychanalyse à l’éducateur, s’il veut bien l’accepter, peut toutefois lui permettre de comprendre plus finement sa relation éducative. Particulièrement lorsque l’enfant ou le jeune vient l’interpeller sur quelque chose qui n’appartient pas à l’éducateur mais à l’histoire infantile de l’adolescent. Comme le dit si justement Jacques Lacan : Le transfert c’est de l’amour qui s’adresse à du savoir. Autrement dit, dans la rencontre entre un enfant et un adulte, se rejoue la position fondamentale de nos premiers rapports à la Loi. C’est dans cette confrontation avec ce jeune en déroute que l’éducateur peut s’inscrire dans sa fonction métaphorique, celle que le même Lacan nomme : Le Nom du Père.
Dominique Séjalon
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