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La psycho
dans Signes & sens
La psychogénéalogie :
une solution pour se délivrer
du poids de la filiation
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Être père c’est, entre autres, transmettre son nom. Un désir qui peut parfois être difficile à endosser pour le petit enfant. On entend souvent de jeunes pères de famille parler de la transmission de leur nom. Ce désir de transmettre cette partie émergée de son moi – le patronyme – semble correspondre, chez le papa, à une volonté de se prolonger à travers l’autre – en l’occurrence son fils. C’est, pour le père, inconsciemment, comme une garantie d’un sentiment d’immortalité à travers sa descendance, comme une manière de conjurer cette angoisse de mort qui l’étreint : “ Je te donne mon nom, mon fils et j’espère qu’à travers toi se perpétuera le souvenir de ton père ”, peut-on entendre implicitement. Une manière de se projeter à travers sa descendance et rester ainsi immortel. Mais, aussi, de projeter sur cette descendance ses propres désirs, craintes ou angoisses. De fait, transmettre son nom mobilise beaucoup d’énergie et véhicule, aussi, bien des affects, d’un point de vue psychanalytique.
Ainsi donc transmettre son nom, c’est transmettre une partie de soi, de son héritage familial, bon ou mauvais, qu’il soit générateur de souvenirs heureux ou producteurs de haine, de secrets et de non-dits. Quand le père transmet son nom à son enfant, celui-ci hérite d’une histoire familiale partiellement objective mais, surtout, il endosse tout ce qui n’a pas été abréagi de cette histoire (entendons par-là tout ce qui n’a pas été accepté, liquidé dit-on en psychanalyse). Pour l’enfant, le patronyme, cet autre nom du père, peut être vécu comme protecteur : C’est mon père, il est beau, il est grand, il est fort mais encore comme destructeur, si trop lourd à porter. Métaphoriquement, ce qui devient un fardeau dans le nom transmis par le père, et donc ce qui empêche le sujet d’agir, de créer, de transformer, c’est ce qui n’a pas été réglé en amont ; ce sont tous les affects non libérés, les interdits mal posés, les secrets bien (ou mal) gardés, toute cette légende familiale telle qu’elle a été projetée de génération en génération (un ancêtre martyr, un arrière-grand-père pyromane, un grand-oncle incestueux, une tante prostituée, des avortements clandestins, etc.).
Des maux aux mots
Quand l’enfant naît, il est déjà le produit d’une filiation qui a pu être libidinalement modifiée et ce qui compte pour lui, ce qu’il va cristalliser, n’est donc pas tant l’histoire familiale “ objective ” mais la manière dont elle lui a été rapportée, qu’il a introjectée de la sorte, à son tour déformée puis fantasmée. Ainsi, l’aïeul pyromane doublé d’un assassin, une fois incorporé, entraînera de la souffrance dans l’existence car, à travers cette filiation, sera endossée, par patronyme interposé, la culpabilité familiale à l’endroit de cet événement. Porter le même nom que cet aïeul inscrit libidinalement dans une problématique de même type que celui-ci, autre agresseur d’un autre temps et qui, pourtant, s’infiltre encore insidieusement et pernicieusement. Cet agresseur fantasmatique pourra se réveiller un jour dans la filiation par schèmes identificatoires ou subir moult modifications inconscientes au point de se transformer en somatisation, se fixant sur une région précise du corps afin que les maux étouffent les mots. Ce piètre duel pourra, malgré tout, être un jour entendu dans la mesure où les maux ont leurs codes spécifiques et leur langage.
Toute une histoire !
Cependant, pourquoi souffrir – à travers certains symptômes – d’une histoire qui n’est pas la sienne ? La psychogénéalogie, notamment par l’étude des névroses familiales, en révélant les liens inconscients pouvant agir au sein d’une famille, illustre parfaitement ce propos. Elle permet de prendre conscience de ce qui n’appartient pas en propre au sujet et qui, pourtant, le fait souffrir. Or, ce que nous partageons avec nos aïeux que nous n’avons pas connus, c’est justement le nom. Dans mon cas personnel, celui d’un double patronyme issu d’une histoire singulière – le nom du beau-père vient s’ajouter à celui du père, à la suite d’une décision de justice –, on peut dire que je récupère l’histoire de chacune des familles et, surtout, que je représente le désir inconscient de mon beau-père de m’inscrire dans sa filiation : il n’est pas mon père mais je deviens “ son ” fils. Mon patronyme, ainsi constitué de deux noms propres, jaillit comme le symptôme visible de cette histoire particulière. Il est ainsi aisé de mieux comprendre pourquoi tout ceci est parfois lourd à porter : deux désirs à endosser, deux noms à transmettre, deux histoires à perlaborer. Tout un programme !
Philippe Bridoux-Martinet
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