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La psycho
dans Signes & sens
La psychosomatique
sur le divan |
Qu’en est-il aujourd’hui de ce regard sur la maladie psychosomatique, donc de ce lien existant entre une pathologie organique et le conflit psychique, généralement inconscient, qui l’a déclenchée ? Même si Georg Groddeck fit le choix d’une médecine psychosomatique d’inspiration analytique en adhérant au mouvement psychanalytique en 1920, ce sont surtout les travaux de Sigmund Freud qui ont permis de transmettre cette approche nouvelle de la maladie.
Des maux aux mots, le corps véhicule un message. Au fil du temps, la notion de psychosomatique a fait son chemin dans l’esprit des individus. L’influence du psychisme sur la santé n’est cependant aujourd’hui réellement reconnue que pour certaines affections telles que l’asthme, la migraine, le psoriasis, la colopathie ou la maladie de Crohn. Base de la structure névrotique par excellence, la somatisation est synonyme de souffrance au conscient. Il n’en est pas de même pour l’inconscient d’un sujet qui en retire un bénéfice : ne pas lâcher un symptôme et s’inscrire ainsi dans une fidélité à une filiation. Aussi les résistances à l’étude du psychisme dans la maladie sont-elles importantes. Progressivement, ce terme de psychosomatique est devenu familier et constitue désormais une entité à part entière, rassurante puisque nommée. Ainsi, au gré des modes et des années, certaines pathologies ont-elles disparu ou se sont-elles modifiées dans leur forme, dans leur appellation, pour en diminuer leur force, leur impact sur les esprits ou permettre un refuge dans une somatisation plus acceptable.
Du côté des affections « psy »
L’expression « être malade des nerfs », typique d’une affection psychologique se répercutant sur le plan somatique, est peu à peu tombée en désuétude. Non sans raison puisqu’elle présentait un côté énigmatique et inquiétant, l’internement ou la cure de sommeil forcée n’étant pas loin dans l’esprit des gens. De même parle-t-on moins volontiers de dépression nerveuse. L’heure est par contre au burn out et celui-ci frappe tous azimuts. Actuel, ce syndrome d’épuisement professionnel se révèle être une affection acceptable car codifiée dans ses origines et son évolution. Il s’applique le plus souvent à un individu présenté comme victime d’une personne, d’un système, du stress ou de la société, donc s’expliquant, contrairement à certains dépressifs.
Les crises de tétanie
Découverte en 1862 par le Docteur Chovstek, un médecin hongrois, la spasmophilie est réellement nommée comme telle en 1950 par le Professeur Klotz et Julie Besançon qui la définissent comme une tétanie normo-calcique. La crise de nerf de l’hystérique des temps modernes, à l’image de ces femmes prises en charge par le Professeur Charcot, a laissé place à la crise de spasmophilie, caractérisée par la présence d’un corps raide comme tétanisé, phallicisé d’un point de vue inconscient, s’accompagnant fréquemment d’une boule d’angoisse dans la gorge. La connotation de spasmophile se voulant plus organique et moins péjorative qu’une simple crise de nerfs.
Un mal-être persistant
De nouvelles pathologies comme la fibromyalgie ou le syndrome de fatigue chronique ont vu le jour. Elles ont permis de recenser et d’inscrire dans un cadre médical une multitude de symptômes à type de blocages, de douleurs musculo-squelettiques, d’asthénie persistante, de problèmes neurologiques ou cognitifs, soit l’expression corporelle invalidante d’un psychisme en souffrance. Même si une prise en charge pluridisciplinaire, comportant un travail sur soi de type psychothérapeutique, est aujourd’hui systématiquement proposée, elle reste encore difficile à mettre en place avec les patients. Le somatique rassure.
Le sommeil
Indispensable à notre bien-être, il fait aujourd’hui l’objet d’études par l’Institut national du sommeil et de la vigilance, le stress n’étant pas le seul responsable des nombreux troubles du sommeil recensés. Ronflements incoercibles et syndrome d’apnée du sommeil sont devenus un motif fréquent de consultation. Ils restent tous les deux très difficiles à résoudre, les apnées du sommeil justifiant le port d’un appareillage de nuit particulièrement contraignant. Présentés comme de véritables remèdes contre l’amour, ils peuvent aussi légitimer pour l’un des deux partenaires une demande de chambre séparée. Une solution plutôt bien acceptée dans certains couples...
Le registre de la sexualité
Un certain nombre de symptômes se sont progressivement transformés. Les troubles de l’érection et les problèmes d’impuissance chez les hommes sont actuellement très médiatisés. Les campagnes publicitaires sur l’efficacité des médicaments corrigeant ces dysfonctionnements font recette. Les hommes en parlent entre eux et s’échangent les comprimés. Côté féminin, les problèmes de frigidité ou de dyspareunie semblent avoir fondu comme neige au soleil. Dans le domaine de la sexualité, les femmes se seraient libérées... Les magazines féminins regorgent, de fait, d’informations pour s’épanouir sexuellement et trouver son point G. Si la dyspareunie semble rare, certains tableaux de vaginite et vulvite répétitive devraient pourtant amener à s’interroger. Génératrices d’irritations et de douleurs dans la sphère génitale, leur compulsion est à entendre, d’un point de vue du psychisme, comme l’expression – sous une forme corporelle – d’un interdit temporaire sur la sphère sexuelle. De même la recrudescence des papillomavirus, dont le condylome surnommé crête de coq, présents chez certaines personnes plus que d’autres, signale-t-elle le sentiment d’un danger de contamination possible par les rapports sexuels. Freud disait : « Un symptôme se forme à titre de substitution à la place de quelque chose qui n'a pas réussi à se manifester au-dehors ». L’articulation nouvelle entre le soma et la psyché est devenue à la fois plus évidente et plus subtile. Le psychosomatique devient plus léger, plus fréquentable, tout en se l’appropriant pour surtout ne pas lâcher son symptôme.
Docteur Laurence Pescay
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