Les scientifiques et les industriels utilisent depuis longtemps le mot « résilience ». Récemment, la psychologie se l’est également appropriée pour
décrire la stabilité de l’esprit humain après un choc.
Ainsi, dès que des souffrances humaines sont évoquées
aujourd’hui, le concept de résilience surgit dans les
propos. Victime d’une mode verbale, ce mot risque de
piéger par un brouillard d’ambiguïté. Nous remarquerons que
c’est encore le cas pour des notions aussi habituelles que « communication, affectivité, empathie »…
Des ressources à mettre en lien
En première approche, la définition de la résilience est la « capacité à bien vivre et à se reconstruire après un traumatisme ». Avec ces quelques mots, nous avons là une définition
sommaire, évoquant la qualité du rapport entre le présent et un
choc antérieur. La psychologie a depuis longtemps identifié
qu’il existe un lien entre le présent et le passé. Pourtant, la
nature de ce lien reste assez floue dans bien des esprits (même
chez des professionnels). La manière dont un événement antérieur
a pu fragiliser un individu, dans des circonstances ultérieures,
nécessite de nouvelles précisions. « Être résilient »
indique qu’un choc ou un traumatisme antérieur produit peu,
ou pas, de fragilisations ultérieures. Cette résilience peut être
quasi spontanée ou, plus généralement, se construire progressivement,
mécanisme qui se manifeste de différentes façons.
Boris Cyrulnick, neuropsychiatre et spécialiste des comportements,
a lui-même fait l’expérience douloureuse d’un choc
traumatisant : la perte des siens pendant la guerre avec obligation
de silence. Se reconstruire n’est pas pour lui une simple
considération intellectuelle. Selon lui, la résilience est
l’expression d’une force insoupçonnée que l’on a en soi. C’est
aussi quelque chose qui s’élabore progressivement après un
traumatisme, souvent à l’aide d’une tierce personne qui joue
le rôle de tuteur. Ce tuteur de résilience peut offrir une référence,
une écoute, une présence, un modèle, de l’amour…
Nous trouvons ainsi des ressources extérieures venant s’ajouter
à nos ressources intérieures (souvent insuffisantes). Boris
Cyrulnick précise bien qu’un deuil ne se fait pas avec l’oubli,
ce serait une sorte d’abandon ; or, l’apaisement ne peut se produire
en abandonnant l’objet perdu. Le déni conduit à une
amputation de soi. Il le dit et le répète. Quand une part de soi
est morte, il faut faire revenir la vie. Pourtant, il parle du « murmure
des fantômes » (souvenirs, réminiscences désagréables)
et propose d’apprendre à se battre contre eux et à leur tordre le
cou. Ainsi, partagé entre la douceur et la violence, il tente de
donner une explication du fait qu’on s’en sorte après un drame.
Il explique aussi, avec beaucoup de respect et de pudeur, l’importance
du pardon, tout en soulignant que celui-ci n’est pas
toujours possible pour chacun. Ainsi, la notion de résilience
est-elle très subtile et même parfois contradictoire. Un éclairage
complémentaire sur le sujet n’est donc pas superflu. Chaque
praticien se doit de rester en éveil et en recherche pour mieux
aider ceux qui viennent le consulter.
Les symptômes, des opportunités potentielles
Nous trouvons assez normal de nous sentir perturbés lors d’un événement pénible. Lors d’un traumatisme, il s’est même généralement ajouté au choc lui-même un comportement écrasant et aggravant de la part de l’environnement social (déni, culpabilisation, obligation de silence). Dans de telles circonstances, il semble légitime de nous sentir affectés. C’est là que se posent les problèmes de résilience. En revanche, nous trouvons anormal de nous sentir perturbés quand le présent ne le justifie pas. Quand des impressions inconfortables ou douloureuses se produisent, sans que la situation présente en soit la cause, nous n’en comprenons pas le sens. C’est par exemple le cas lors d’états d’angoisses, de phobies, de pulsions et divers maux psy… La sensation inconfortable ne vient plus alors de ce qui se passe maintenant mais plutôt d’un lien avec un choc antérieur. Ici, la circonstance présente n’a été que le réactivateur d’une ancienne douleur. La dimension émotionnelle est proportionnelle à ce qui a été vécu autrefois et non à ce qui se passe aujourd’hui. Il est important aussi de savoir que la douleur de ce qui a été vécu (importance du
choc) n’est pas forcément proportionnelle à la gravité objective
des circonstances passées. Un enfant peut être plus choqué
de la perte d’un jouet offert par sa grand-mère qu’il aimait
tant, que par la mort d’un grand-père qu’il n’aimait pas.
S’il est habituel de parler de « psychopathologie », il serait
souvent préférable de parler d’opportunités. Ce fameux « murmure
des fantômes » est, en réalité, ici, une invitation à la délivrance.
En effet, les symptômes sont la manifestation d’un
lien avec une part de soi, autrefois blessée, qui attend une
reconnaissance, une écoute ou un soin de notre part. Ce « fantôme
» n'a rien de malfaisant, bien au contraire. Les symptômes
sont des opportunités pour retrouver son intégrité, pour
réhabiliter ces « bouts de soi », mis provisoirement entre
parenthèses afin d’assurer sa survie, en attendant des jours
meilleurs. Le symptôme présent se produit spécialement pour
accomplir cette rencontre avec soi-même et non à cause du
passé. Comprendre que le symptôme se produit « spécialement
pour » et non « à cause de » est d’une grande importance.
Spécialement pour indique que l’on va vers quelque chose
de précieux à réhabiliter, tandis que à cause de, au contraire,
induit quelque chose de mauvais à éliminer.
Une fracture en attente de soin
Entre mauvais et précieux, il importe de distinguer le fait historique de l’être qui le vit. Boris Cyrulnick nous met en garde : Il ne faut jamais réduire une personne à son trauma… Si, dans un traumatisme, nous choisissons de parler de bon et de mauvais, soyons attentifs : nous distinguerons d’une part les circonstances du choc (mauvaises) et d’autre part, l’être qui les a vécues (précieux). Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les circonstances, (même mauvaises) sont peu importantes. Elles sont loin en arrière dans le temps. Ce ne sont pas elles qui nous restent et qui nous gênent, même si on en a gardé un souvenir obsessionnel. Par contre, celui que nous avons été lors du choc reste, lui, très présent en nous à chaque instant de notre vie. Tous ceux que nous avons été nous constituent et nous habitent pour toujours. Ils constituent notre tissu psychique
au même titre que notre tête, nos membres et notre
buste constituent notre corps. Ils continuent à « réclamer »
l’aide et la reconnaissance qui ne leur ont pas été accordées.
L’erreur consiste alors souvent à croire qu’en thérapie, il s’agit
de revenir dans le passé pour éliminer un mal ! Or, les évènements
néfastes sont passés et n’existent plus. Cependant,
encore une fois, celui que nous avons été au cours de ces évènements
est toujours là, présent en nous. Ce n’est pas le passé
(ni les circonstances) vers lequel nous devons revenir, mais
vers celui que nous avons été au cours de ces évènements
antérieurs. Le rétablissement psychologique ne se produira
pas en revisitant le fait historique du choc. Tout ce qui compte,
c’est celui que nous avons été au moment du traumatisme.
Il nous constitue et reste victime, dans l’attente du soin qui ne
lui a jamais été donné. Une fracture en attente de soin.
Thierry Tournebise