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La psycho
dans Signes & sens
La vidéo,
un acte thérapeutique
au service de la psychanalyse
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Les peintres, les photographes, les cinéastes et tous les psy, savent combien la forme humaine renvoie, tel un miroir apologétique, plus qu'une simple image ; ils utilisent donc, chacun à leur manière, l'apparence comme un outil de travail d'exégèse. Il s'agit ainsi d'une autre façon de voir le tableau le plus étrange, le plus mystérieux, le plus caché : l'enfant qui sommeille à l'intérieur de soi... La vidéoscopie, système avant-gardiste utilisé de plus en plus dans les Instituts de Formation Psychanalytique, s'inscrit dans l'intérêt qu'accordait Freud aux psychobiographies. Le principe de l'installation vidéo à projections sonores est à aborder comme un continuum des temps modernes...
L'Homme, dès qu'il a tenu debout, s'est emparé du moindre support rigide pour décharger l'expression artistique logée au plus profond de lui, saisissant ce prétexte pour déjà s'inscrire dans une dialectique intemporelle. Des gravures et des peintures pariétales de Lascaux, il y a donc plus de 15000 ans, en passant par les hiéroglyphes, les graffitis surgissent de nos jours comme une évidente logique pour qui s'y intéresse. Et Brassaï de souligner que le mur appartient aux « demeurés », aux « inadaptés », aux « révoltés », aux « simples », à tous ceux qui ont le cœur gros. Il est le tableau noir de l'école buissonnière, ajoute-t-il... Si le mur s'est animé avec l'apparition du cinéma muet, il s'est humanisé avec le cinéma parlant. L'écran, transformé en une énorme bouche, a pu dès lors libérer des sons et déclencher des sensations plus participatives.
Un matérialisme dialectique
La vidéo renvoie au spectateur ses émotions chargées d'affects ; effectivement, par une curieuse approche de l'image méthodiquement spécifiée, la cathodoluminescence s'accouple au bruit. Ce matérialisme dialectique désoriente une première approche, sous l'emprise d'une diacoustique qui ne peut, paradoxalement, que restituer le chemin, la direction. Devant une installation vidéo, le spectateur peut pleurer comme un enfant ; il peut se gausser, critiquer ou encore devenir quasiment aphasique. Il peut aussi partir en courant dans une soudaine perte de contrôle, tel un acte manqué... La vidéo agite les mécanismes de défense qui se mobilisent alors dans un juste combat où le regard voyeur s'anéantit par des pulsions et des impulsions prédatrices. Le spectateur, devenu analysant, introjecte l'objet, s'approprie l'idée, en oubliant sur cet effet d'après-coup l'induction artistique. La vidéo permet de facto de lier l'imaginaire au principe de réalité car l'existence ne se réduit pas à l'art.
Résistance !
L'art est un outil de plus pour s'interroger, pour réfléchir, pour comprendre, pour s'analyser. L'intention véhiculée par « Résistance », une vidéo amateur mise au service d’un Institut de Psychanalyse et d’Art-thérapie avignonnais, s'inscrit dans ce registre sémiologique. L'artiste appréhende la jouissance de la douleur métaphorique. L'intime compréhension du sens jaillit grâce à un festival de symboles qui construisent l'œuvre savamment ; la juste frustration infligée consciemment permet alors l'émergence du désir. Dans cette vidéo, le cadre confond habilement salle d'accouchements et divan, gynécologie et psychanalyse, naissance et re-naissance. La subtilité s'exprime élégamment dans les manifestations visuelles et sonores : un homme en tenue de combat accouche, aidé d'une praticienne, sur fond de braillements de nouveau-né ; cette opposition des genres, cette confusion identitaire métonymisent la difficulté imagoïque de l'être. Cette ambivalence, sa masculinité-féminité, sa bipolarité entraînent inéluctablement violence et non-sens, indécence ou un-des-sens qui consacrent la tragédie humaine. Cet homme donc sur ce linceul, ce militaire, ne peut toujours pas assumer son choix impossible, ingérable : tuer ou être tué. Sa conscience moralisatrice exige maintenant qu'il défasse les barbelés qui emprisonnent la petite fille à l'intérieur de lui ; après tous les épisodes sanglants de sa vie, il n’est plus question d’indulgence. Cette enfant hurle sans cesse, intériorisée, inhibée, niée, oubliée. Roborative un temps, roche-mère combative d'autrefois, ce misogyne égocentrique l’abandonne pourtant chaque jour un peu plus ; il l’épuise, il la lie, il la noie, au lieu de la libérer. Ce militaire de pacotille refuse la confrontation et pourtant, il le sait : s'il persiste, il mourra, minable infanticide, mauvais résistant, pâle héritier d'un Jean Moulin qu'il n'a héroïsé que pour séduire la mère patrie ou, pourquoi pas, la mère partie... Pathologiquement, il a voulu en faire son double ; ce double est peu à peu devenu son ombre et sa vie s'est assombrie, résultat d'une triangulation sordide et castratrice ; la femme devenue mère, fantasmée morte en couches, idée insupportable et inconciliable, a été réduite, reléguée, refoulée à l'état de petite fille. Ce rapport incestueux a noué compulsivement le scénario-type d'Œdipe-roi. La faute le nargue, il se méprise, il se méprend, héros kidnappé, prisonnier de lui-même. Du camp de concentration au champ de concentration, la place de l'observation, de l'écoute singulière, du regard introspectif se fait l'écho de promesses possibles pour qu'enfin se taisent ces cris primitifs, pour qu'enfin s'arrêtent ces bombardements et autres parachutages qui ne détruisent en fait que l'innocence.
Résistance, c'est la rencontre fortuite d'un homme, de ses conquêtes, de ses batailles, de ses défaites ; lui qui a récupéré transgénérationnellement le franchissement forcené des frontières, a ainsi transgressé les limites protectrices, comme pour mieux barricader sa peur, son angoisse. Et pourtant, les hurlements de la petite fille, maintenant audibles, finissent par débloquer une vision fixe au point que les noces cruelles Mai 68-Kosovo puissent libérer à tout jamais sa présomption de coupable. Les cris récurrents d'un peuple finissent par interpeller et une des possibilités de les entendre désigne symboliquement la médiation artistique. De toute façon, qu’importe le flacon… : militantisme, caserne, divan ou vidéo, à chacun son paradigme !
Chantal Calatayud
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