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La psycho
dans Signes & sens
L'angoisse du manque de limites
dans l'oeuvre de Mallarmé
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L’oeuvre de Stéphane Mallarmé montre un questionnement par rapport à l’espace. Son fameux poème « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard » en est l’illustration. Ce texte donne à voir le rapport qu’a l’auteur avec l’espace par sa singularité de la mise en page. Il a souhaité en quelque sorte établir une confusion entre le contenant (le livre) et le contenu (le poème). Pour la psychanalyse, une perception spatiale perturbée est liée à un trouble dans la représentation entre le contenant et le contenu, ceci entraînant de l’angoisse.
La confusion entre le contenant et le contenu ramène au rapport entre l’enfant et la mère. En effet, inconsciemment, la mère qui doit jouer un rôle de contenant, semble – pour Mallarmé – ne pas pouvoir le jouer, et ainsi poser des limites. L’enfant souffre d’une angoisse démesurée, ne se sentant plus étayé par sa génitrice. Mallarmé, dans son autobiographie, dit avoir tout perdu à la mort de sa mère. Il avait 7 ans. Placé dans diverses institutions ou par le biais déjà de l’écriture, il tente de se recréer un contenant mais, hélas, ses cent petits cahiers de vers qui m’ont toujours été confisqués ne purent jouer ce rôle rassurant, malgré le positionnement des mots sur la feuille destiné à se représenter dans l’espace cette mère a jamais perdue. N’a-t-il pas voulu mettre en images ses mots, comme pour tenter de donner une forme à son texte, pour donner corps à cette mère défunte ? L’espace de la feuille ne semble pourtant pas avoir réussi à délimiter, à canaliser cette douloureuse perte.
La place de l’oralité dans le poème
Dans la note d’introduction du poème « Un coup de dés », Mallarmé parle de la différence des caractères d’imprimerie qui, pour lui, doit dicter la portée et la modulation de l’émission orale. L’auteur souhaite que son poème soit lu à voix haute et il en indique même les intonations. Cependant, ce qui est le plus marquant, c’est son souhait que cela passe par la bouche. Pour la méthode freudienne, la bouche est avant tout la zone d’oralité et elle nous rapproche des premiers rapports à la mère. En effet, la succion vient, dans les premiers temps de l’enfance, rassurer le nourrisson. Mallarmé semble rechercher cette sécurité perdue mais sans jamais la re-trouver. La dernière phrase de son poème « Angoisse » en est le témoignage : Ayant peur de mourir lorsque je couche seul... Il dira d’ailleurs que le sentiment de solitude le suivra toute sa vie.
L’effacement du poète ?
Cette solitude angoissante, qui prend racine sur le manque de cette mère protectrice, amène Mallarmé à composer, comme le souligne Eveline Caduc, Professeur de littérature française à l’Université de Nice – Sophia Antipolis, des poèmes de plus en plus allégoriques. Ce terme est à prendre dans le sens d’une signification cachée, par exemple par le langage mais il désigne également qui se signifie par lui-même. D’après Eveline Caduc, le poème prend une forme fermée. On pourrait y voir un cercle, ce qui nous ramènerait encore une fois à la symbolique sphérique maternelle. Toutefois, Mallarmé, comme aspiré par son angoisse, ne perçoit pas ce cercle : pour lui, c’est le néant qu’il voit. Il dira, en parlant de son poème « Sonnet allégorique de lui-même », qu’il est un sonnet nul. Dans ce poème, on ne connaît pas le narrateur, on ne voit pas le metteur en scène, le poète semble disparaître. Dans cette recherche permanente de l’image de la mère, le poète semble avoir eu de la difficulté à trouver son propre espace corporel. Il a projeté son angoisse dans ses mots en cherchant à leur donner la forme d’images et de sons. Le poème devient la métaphore de cette enveloppe contenante que peut être la peau. L’auteur recherche ainsi sa propre image, le reflet de sa propre incarnation. Cette recherche vaine de son identité lui fit écrire à un ami : Je suis maintenant intemporel et non Stéphane Mallarmé que tu as connu, mais une aptitude qu’a l’Univers spirituel à se voir… Avec cette déclaration, Mallarmé nous laisse sur une interrogation, celle de savoir si le manque de cette mère l’a amené aux portes de la folie ou bien, comme semblerait le dire cette phrase, a-t-il eu une expérience mystique. Quoi qu’il en soit, il nous reste une œuvre avec tous ses mystères et son génie.
Dominique Séjalon
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