|
La psycho
dans Signes & sens
Le clivage corps/esprit
dans l’œuvre de Tchouang-Tseu
|
Jacques Lacan, dans un de ses séminaires, parle de Tchouang-Tseu et de son livre « Le rêve du Papillon ». L’auteur, sortant de son sommeil, se pose la question de savoir s’il a bien rêvé d’être un papillon ou bien est-il un papillon qui rêve qu’il est un homme ? Malgré un abord qui peut sembler hermétique, la création de Tchouang-Tseu est l’œuvre d’un philosophe qui use d’un discours direct et synthétique pour parler de la subjectivité. Comme le souligne le sinologue J. F. Billeter, la subjectivité « apparaît comme le va-et-vient entre le vide et les choses. » « Le vide et les choses » représentent l’esprit et le corps. Dans son travail, Tchouang-Tseu n’aura de cesse de parler des rapports entre la conscience et le corps, ce qui rejoint ainsi la conception psychanalytique du « clivage corps/esprit ».
Maître Tchouang serait né au IVème siècle avant J. C. On lui attribue un des textes fondateurs du taoïsme, livre qui porte son nom : « Le Tchouang-Tseu ». Bien qu’on lui donne le titre de successeur de Lao-Tseu, il reste en marge d’un taoïsme orthodoxe et a son propre mode de pensée. Il est véritablement un philosophe dans le sens où il recherche au travers de ses propres sensations, plutôt que de suivre un enseignement déjà établi. Tchouang-Tseu questionne la place de l’Homme dans l’Univers. Pour lui, le discours n’est pas la seule réponse à cette recherche. Plus que tout autre, il étudiera le concept taoïste de Wuwei (non-agir) : loin d’être un état de somnolence, le non-agir doit permettre à l’humain de se débarrasser des illusions et de ses fantasmes. Il parlera d’un réel dépouillement.
La conception de l’Homme
Si Tchouang-Tseu reste fidèle à la conception du non-agir taoïste, il approfondira cette notion en passant par ses propres expériences, ses propres « ressentis ». Il ne se perd pas dans des descriptions phénoménologiques sans fin. Pour ce Maître, l’Homme est une parfaite globalité, reprenant la terminologie chinoise antique de la Terre et du Ciel pour symboliser le visible et l’invisible, l’humain et le céleste. Nous dirons le conscient et l’inconscient. Dans cette conception, il peut paraître étrange de trouver l’animal non pas en-deçà des humains mais au-dessus, dans le domaine céleste. Il faut bien comprendre ici la pensée de Tchouang-Tseu quand il affirme que l’animal est dans le registre « élevé ». C’est qu’il a en quelque sorte la capacité de s’harmoniser et de faire avec entièreté une activité : Seuls les animaux savent véritablement agir en tant qu’animaux, seuls les animaux savent agir selon le Ciel. Autrement dit, l’auteur classifie l’activité en deux genres : l’activité inférieure et l’activité supérieure. L’activité inférieure est épuisante, compulsive et régressive, dira plus tard de sa position la psychanalyse. Pour Tchouang-Tseu, l’action humaine doit se faire dans une forme de symbiose corps/esprit, l’oubli durant l’acte provenant de la maîtrise. Pour qu’il y ait intelligence de l’acte, il ne faut pas qu’il y ait de coupure entre soma et psychisme. L’action doit se faire dans la vérité de l’instant présent. Toute activité doit être faite dans une sorte d’harmonisation entre l’organisme et le mental. Pour la méthode freudienne, l’enfant s’identifie par un jeu d’introjections aux parents. Ainsi, le petit d’Homme ira jusqu’à nier son propre corps, en s’identifiant psychiquement à ses parents.
Le déni de la réalité
Pour Freud, ce clivage correspond à une phase spécifique du développement de l’enfant : celui de la défense contre le temps. En effet, si « ce corps ne m’appartient pas », il m’est possible – à l’inverse – de le mettre « à côté » du temps qui passe. Cette posture est un mécanisme de défense contre la temporalité, entraînant un déni de la réalité. Il y a une recherche d’immortalité due au désintérêt que fait l’enfant de son corps biologique. Tchouang-Tseu semble insister sur l’importance d’allier la posture du corps à celle du psychisme : Confier au corps le soin d’agir et notre conscience se dégage… Ce que j’appelle le corps peut assurer de la sorte de nombreuses activités dont certaines impliquent des opérations mentales extrêmement complexes, comme le langage. Quand elle fait ainsi confiance au corps, la conscience devient disponible… Cette confiance au corps aboutirait à une forme d’incarnation inscrivant le sujet dans sa globalité. Ce qui le préserve d’une position schizophrénique qui l’empêcherait d’évoluer de façon saine. Le corps en symbiose avec l’esprit apporte « une justesse dans l’acte ». Nous retrouvons ici la notion de Wuwei : cette pertinence de l’action protège finalement l’individu de tout acte d’automutilation puisque la problématique schizoïde semble réglée.
Dominique Séjalon
|
