Il est, parfois dans l’ombre des grands écrivains, des personnes dont on ne parle pas souvent mais sans qui la joie de la lecture qui rend libre ne parviendrait pas jusqu’à nous. Justice soit donc rendue à ces femmes et ces hommes qui font profession d’éditeur, ces passionnés de lecture dont l’art ultime consiste à transmettre…
Un éditeur est avant tout un libraire qui connaît très bien les livres qu’il vend mais surtout leurs auteurs. Pour prendre la mesure des rapports sans fard qu’entretiennent les écrivains avec leur maison d’édition, il suffit de lire la poignante correspondance qu’Antonin Artaud a tenue avec Jacques Rivière, alors directeur de la Nouvelle Revue Française, qui lui refusait son manuscrit, correspondance qui est devenue depuis une œuvre littéraire à part entière. Le livre autobiographique d’Edmond Buchet, intitulé « Les auteurs de ma vie », publié en 1969, dresse aussi un passionnant panorama de ce fabuleux métier qu’il a pratiqué de 1935 à 1969. On lui doit la découverte d’Henri Miller, de Lawrence Durrel et de bien d’autres encore. Aujourd’hui, le flambeau de la tradition est largement repris et enrichi d’éditeurs spécialisés dans l’ésotérisme, la spiritualité, la psychologie… Petit tour d’horizon sur les pionniers de la transmission d’une pensée plurielle.
Le XIXème : le grand siècle de l’édition
Depuis la fabuleuse invention de Gutenberg au début du XVème siècle qui permet la diffusion de la Bible, pendant près de 400 ans les libraires et les imprimeurs français cumulent leurs fonctions avec celle d’éditeur. À partir de 1830, la fonction éditoriale devient un métier distinct. Le fait est dû à la révolution industrielle du XIXème siècle nécessitant un partage des tâches mais aussi au nombre accru de lecteurs grâce à une scolarisation de plus en plus large de la population. Parallèlement, le nombre d’auteurs augmente et les spécialisations apparaissent. Le contenu des livres se diversifie, les librairies se multiplient et les libraires remplissent la fonction de conseiller, voire de véritable pédagogue de la lecture. Tout naturellement, on retrouve ces libraires passionnés à la tête des premières maisons d’édition. Ainsi, en 1826, l’un d’entre eux se trouve à l’origine d’un des plus grands groupes français actuels, en décidant d’éditer les premiers manuels scolaires. Ernest Flammarion, le petit frère de Camille, écrivain féru d’ésotérisme qui l’avait recommandé comme employé de librairie, est également l’un d’entre eux, à partir de 1878, en publiant « L’astronomie populaire », qui devient l’un des plus grands succès en matière de vulgarisation. Plus près de nous, le libraire du 6 rue de Clichy à Paris, José Corti, est l’éditeur de Gaston Bachelard et des Surréalistes. Cependant, d’autres éditeurs sont issus aussi du métier d’imprimeur mais également de celui d’écrivain. Pierre Larousse, écrivain et enseignant, par exemple, est soucieux de publier ses propres œuvres dont son livre capital « Le Grand dictionnaire universel du XIXème siècle », suivi plus tard par Paul Robert. Certaines revues comme « La Nouvelle revue française », créée en 1911 par André Gide, sont également à l’origine de maisons d’édition. La revue joue, en quelque sorte, le rôle de vivier ouvert au plus grand nombre, en vue de la découverte de nouveaux talents.
Une multitude de petits éditeurs
Aujourd’hui, face au monopole de quelques grands groupes financiers (très centralisés) monopolisant la moitié du marché du livre, on voit fleurir une multitude de « petits » éditeurs indépendants mais remplis d’enthousiasme qui s’inscrivent dans le domaine du Développement personnel, de la spiritualité, de la mouvance bio, des sciences humaines, apportant un sang nouveau et renouant avec la tradition humaniste et humanisante des pionniers de l’édition. En outre, les ouvrages à compte d’auteur et le développement d’Internet relancent la créativité et offrent au public un large panel de choix, témoignant de la vivacité et de la bonne santé de l’expression écrite libre. Certains éditeurs vont même jusqu’à proposer des ouvrages à télécharger gratuitement, preuve que la culture pour tous – et heureusement ! – a encore un bel avenir devant elle. Gageons, sans trop nous avancer, qu’à ce rythme la pensée unique n’aura jamais le dernier mot…
Gérald Rouvier