Il est un principe incontournable, c’est que nous nous incarnons sous le sceau du plaisir. Nier cette évidence équivaudrait tout simplement à refuser la vie. L’art de vivre va donc consister à prendre en compte cette réalité inhérente à l’être humain.
Le fait de ne pas s’autoriser le plaisir témoigne de l’existence de blocages, souvent inconscients, qui font que l’énergie vitale ainsi retenue peut engendrer un conflit à l’origine d’inhibitions dommageables pour soi et pour les autres.
Une lutte absurde
Nous combattons souvent de manière obsessionnelle un ennemi que, paradoxalement, nous désirons. Cet ennemi, nous le supposons dangereux, nous l’affublons de toutes les calamités. La religion se trompe quelque part de cible, donc pèche, lorsqu’elle se résume en la négation du plaisir. Selon Wilhelm Reich*, le célèbre psychanalyste,
l’individu élevé dans une atmosphère de négation de la vie et du sexe acquiert un “ plaisir-angoisse ”… Ce “ plaisir-angoisse ” est le terrain sur lequel l’individu recrée les idéologies qui nient la vie et qui forment la base des dictatures. C’est le fondement de la peur de vivre de manière libre et indépendante. Le penseur indien Shree Rajneesh* va encore plus loin lorsqu’il affirme que
l’être humain ne peut vivre sans son énergie sexuelle. Le sexe est une donnée première : nous naissons ainsi pourvus. Dieu a fait du sexe le point de départ d’un nouveau corps. De quel droit méprisons-nous ce que Dieu a lui-même instauré comme sacré ? Si Dieu estime que le sexe est un péché, il n’y a pas plus pécheur dans tout l’Univers que ce Dieu Lui-Même… Ceux qui ont poussé l’être humain à lutter contre le sexe portent toute la responsabilité de l’obsession sexuelle. La “ sexualité ”, la surenchère sexuelle – folle contrepartie de la répression démente – vient en ligne droite de ces enseignements pervers…
Chassez le naturel…
Robert, ex
accro au téléphone rose, témoigne :
Attiré par les publicités vantant l’amour au téléphone, à la suite d’une déception sentimentale due, entre autres, à une certaine psychorigidité, le naturel que j’avais chassé est revenu au galop. J’avais un besoin compulsif de me rassurer sur ma virilité. Je pouvais tout me permettre d’une manière virtuelle. Jusqu’au jour où, au regard de mes notes de téléphone, j’ai compris qu’il fallait que je mette un terme à cette pratique qui, de toute manière, ne résoudrait jamais ma problématique et me faisait tourner en rond. Cette expérience a eu au moins l’avantage de me faire réaliser que j’étais un être de plaisir et que je n’étais pas le seul dans ce cas. Avec l’aide de mon thérapeute, chez qui j’ai pu déposer tout cela sans me sentir jugé, j’évolue vers une vie plus réelle où le plaisir peut passer par une simple conversation, même téléphonique…
Le plaisir
Déjà trois siècles avant J.-C., le philosophe hédoniste Épicure instituait une intelligence du plaisir. Loin d’être amorale, sa philosophie, souvent très mal interprétée, exigeait une certaine dose d’austérité. Le plaisir est, selon lui, une sorte de matière première qu’il va falloir humaniser. Ainsi, vivre de plaisir ne veut pas pour autant dire qu’il faille assouvir tous ses fantasmes. Pour preuve, une relation sexuelle réussie demande une prise en compte du partenaire en tant que sujet. La volupté se décline dans l’accueil et le partage. Nous sommes bien loin du plaisir débridé, source de culpabilité, qui se réduirait à une simple décharge pulsionnelle plus proche de l’animalité que d’un réel désir. Le plaisir devient aliénant lorsqu’il se confond avec un besoin irrépressible, incontrôlable, lorsqu’il est impossible de le différer.
De la frustration naît le désir, disait pourtant Jacques Lacan, celui-là même qui exhortait à
s’autoriser de soi-même… Tout en ajoutant :
et de quelques autres, comme pour nous rappeler qu’il est bon que l’autre soit pris en compte. Il s’agit donc bien de vivre de plaisir et non d’en mourir
. Or, l’art de vivre s’apparente à une alchimie qui demande notre participation. Le plaisir peut se faire de plus en plus raffiné et subtil afin de laisser apparaître l’être de désir que nous sommes fondamentalement, capable à son tour de donner du plaisir…
René Forestier