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La psycho
dans Signes & sens
Le point sur les troubles
de la personnalité multiple
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Quand plusieurs personnalités différentes cohabitent dans un seul corps, on parle de trouble de la personnalité multiple. Difficile de croire que le psychisme peut se fragmenter au point de contenir plusieurs « Moi » bien distincts. Mais n’est-ce pas un peu trop facile de prendre tous les malades pour des affabulateurs hystériques ?
Cette pathologie, surtout répandue aux États-Unis, n’en finit pas de susciter les polémiques. De nombreux psychiatres soutiennent qu’il s’agit d’une « fausse » maladie, créée de toutes pièces par des confrères trop zélés chez des patients particulièrement suggestibles. En France aussi, le doute est de mise. Faut-il pour autant rejeter totalement la théorie des personnalités multiples, sous prétexte qu’elle va à l’encontre de notre approche traditionnelle de la conscience humaine ? Il est vrai que la simple écoute d’un malade évoquant ses troubles laisse pantois. Ainsi Aurélie, 28 ans, dont douze passés aux Etats-Unis, parle d’elle en disant « nous ». Elle affirme posséder six personnalités distinctes : une passive et dépressive, une forte et agressive, une intellectuelle rationnelle et posée, une séductrice et deux enfants. Toutes ont des noms et des âges différents. Quant à la personnalité d’origine, elle est « morte ».
Une mauvaise adaptation
Le trouble de la personnalité multiple est souvent confondu en France avec la dépression, l’hystérie ou la schizophrénie et n’est pas reconnu comme maladie à part entière. Pourtant, selon le Professeur Guelfi, psychiatre à Paris : On ne peut pas dire que ce n’est que de la culture psychiatrique, que c’est une création entièrement artificielle et américaine. Le Professeur Debray, cognitiviste, enfonce le clou : C’est une maladie à part entière, qui n’a aucun rapport avec l’hystérie, ni avec la schizophrénie, assure-t-il. Comment une telle maladie se déclenche-t-elle ? On peut parler, même si cela n’a pas été formellement prouvé, de prédispositions à la dissociation, notamment chez les personnes d’un naturel rêveur. Vient ensuite un traumatisme (viol, attentat, torture). Sous le choc, la conscience se décompose en une sorte de réflexe de protection (« Ce n’est pas moi qui ai vécu ça, c’est quelqu’un d’autre »). On assiste alors à un véritable éclatement du « Moi ». Les malades ne choisissent pas. Ça commence comme un jeu et ils finissent par y croire, dans un système d’auto persuasion, explique aussi Quentin Debray. Beaucoup plus rarement, l’élément déclencheur peut être un événement heureux mais perturbant. À l’instar d’autres maladies mentales, la personnalité multiple est une forme d’adaptation psychologique précaire. On peut également supposer que c’est une façon de concilier des tendances contradictoires, comme le Bien et le Mal, l’euphorie et la dépression. Pour réaliser certains désirs interdits, le malade focalise ses pulsions sur une autre personnalité, dont il suppose qu’elle n’est pas lui-même. Par exemple, Aurélie refoule ses tendances agressives et les projette sur sa personnalité combative. Même chose pour ses envies de séduction (qu’elle refoule à la suite d’un viol), réalisées par sa personnalité aguicheuse.
Une façon de concilier plaisir débridé et censure ?
On peut donc se demander si ces troubles ne seraient pas le reflet du tiraillement intérieur entre le Ça (le principe de plaisir débridé) et le Surmoi (le censeur). De là à dire que nous sommes tous des « multiples » qui s’ignorent, comme l’affirment certains malades aux États-Unis, il y a un grand pas. Selon le professeur Guelfi : On ne peut pas dire que c’est l’extrapolation d’une tendance que chacun porte en soi. Quand on se développe normalement, il y a très tôt un sentiment d’unité du Moi, de ce qui est et ce qui n’est pas Moi. Aujourd’hui, des psychiatres américains parlent de deux millions et demi de personnes atteintes à des degrés divers par cette maladie, soit 1 % de la population des États-Unis ! Alors qu’auparavant, ces troubles, considérés comme proches de l’hystérie, étaient rarissimes. Cette pathologie a vraiment commencé à se faire connaître dans les années 1970, avec la publication du best-seller « Sybil ». Ce thème a également inspiré, avec plus ou moins de bonheur, auteurs et metteurs en scène (Mary Higgins Clark avec « Nous n’irons plus au bois », Raul Ruiz avec « Trois vies et une seule mort » mais aussi le très médiocre film américain « Color of Night »). Une médiatisation intense de cette particularité a alors entraîné une vague de « multiplication » des multiples. Parmi les interrogations soulevées par ce trouble, il y a aussi sa représentation géographique. Pourquoi tant de cas aux États-Unis ? Peut-être parce que les Américains s’intéressent davantage au paranormal et sont moins cartésiens que les Européens. L’idée même de cette particularité est moins choquante pour le patient, le médecin et la société. Il y a toujours des éléments socioculturels dans les maladies. Elles sont influencées par des critères sociétaux, ce qui explique que certaines névroses existent dans certains pays et pas dans d’autres, comme les achats compulsifs ou les troubles alimentaires, indique le Professeur Debray. Il ne faut pas croire pour autant que cette maladie n’existe pas dans d’autres parties du monde. Elle est simplement moins visible ou perçue autrement. On peut par exemple s’interroger sur les cas de « possession » par les esprits en Afrique ou en Océanie. Et en France, combien sont-ils à souffrir de ce syndrome ? Impossible de le savoir. Ici, le malade n’ose pas, il manque d’information. Il n’arrive pas à se laisser aller, observe encore le Professeur Debray. Et quand le « multiple » réalise la nature de son trouble, il n’est pas plus avancé pour autant. Aurélie a ainsi vu plusieurs thérapeutes et, jusqu’ici, tous ont rejeté la possibilité de personnalités multiples. La voilà donc isolée, sans soins, alors que des solutions existent, même s’il n’y a pas de méthode officielle. Il suffit d’utiliser les mêmes traitements que pour n’importe quel psycho-traumatisme. Il faut notamment faire revivre l’événement par le patient de façon la plus lucide possible. Mais pour les malades français, le chemin reste long à parcourir avant de mettre des mots sur leurs maux dissociatifs.
Nathalie Grigorciuk
Bibliographie
- « Les personnalités doubles et multiples », Jacqueline Carroy.
- « Divisions subjectives et personnalités multiples », François Sauvagnat.
- « Les personnalités pathologiques », Quentin Debray et Daniel Nollet.
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