L’école de Jules Ferry et son modèle d’enseignement standard à vocation démocratique correspond-elle vraiment de nos jours à ce lieu de réalité sociale pour notre pays ? Le nivellement des programmes vers le bas, depuis plusieurs décennies, a été compensé par un allongement de la durée scolaire, devenue obligatoire jusqu’à seize ans. Ceci n’est pas sans augmenter le phénomène de « dichotomisation » de la société, encore plus présent dans les ZEP.
Le clivage se ressent nettement dans les classes scolaires où les bons aspirent à une valorisation de l’enseignement et de la culture générale, et les mauvais rejettent un enseignement inadapté à leur profil d’enfant défavorisé ou en échec scolaire. Alors, cet enseignement pour tous ne serait-il plus déjà qu’un souvenir qui s’attarde ?
Un système compulsionnel
Les préceptes de Jules Ferry ne sont plus vraiment adaptés à une réalité qui échappe au corps enseignant et à sa hiérarchie. Ne serait-ce parce que le paysage d’une France figée dans le passé a quasiment complètement disparu. L’image du petit paysan contraint que les parents gardaient et retenaient à la ferme n’existe plus. Pour une société conservatrice jouissante de son savoir et d’une époque révolue, normaliser, généraliser, rendre accessible au plus grand nombre ne peut que tendre à allonger le temps de la méthode d’apprentissage, mettant en place un système compulsionnel de répétition dans l’espoir que ça rentre. Ce processus de répétition prend rapidement des allures pathologiques. Dans le transfert enseignant/élève, on ne fait que réactiver le souvenir inconscient ou même semi-conscient d’un conflit ancien déplaisant.
Un enseignement à deux vitesses
Dans l’absence de réel désir d’évolution, de changement, il y a une jouissance à jouer les prolongations, à vouloir imposer un savoir remis en cause par l’adolescent, un savoir qui se nie, qui ne transmet rien au travers de complaintes et de souffrances. Le malaise professeur/élève ne cesse de s’accroître au fil du temps. La chute du niveau scolaire se constate chaque année un peu plus, quasiment dès la rentrée de septembre. L’odeur des livres et des cahiers n’est plus celle de jadis. Se souvient-on du niveau du certificat d’études primaires d’après-guerre ? Aujourd’hui, les jeunes sont plus ouverts sur l’extérieur, les événements de la vie. Le savoir s’acquiert par l’image, bien sûr, au détriment des bases fondamentales orthographiques et syntaxiques. L’inconscient de l’enfant nous donne le sens. Il se structure sur l’ensemble des phonèmes contenus dans le langage, constituant ainsi la chaîne des signifiants, n’ayant que faire des règles d’orthographe largement désuètes et à contre-sens, mais faisant la fierté de la gent académique et de son supposé-savoir : la démocratisation d’un savoir égalitaire, accessible à tous où le droit à savoir n’a pas toutes les vertus dont il se targue. Toute vertu a ses effets pervers et se retourne en son contraire dont les prémices, déjà, sont annonciatrices d’un nouveau système d’enseignement à deux modes. L’un, mettant l’accent sur un enseignement généralisé, conceptuel, appelé de nos jours la voie longue et l’autre basé sur la créativité, l’écoute de l’enfant, l’expression de ses désirs. Dans ce cas, cela revient à poser une question : comment enseigner un enfant (et non pourquoi l’enseigner) ? Faut-il y voir un enseignement psychothérapique et sa formation spécifique ? Certainement... Les écoles privées ont anticipé les problèmes et la demande vers ces établissements est croissante, se réservant la part la plus facile, celle des enfants sans difficulté. Il est temps que l’Éducation Nationale et ses enseignants arrêtent de tourner en rond, autour d’un vide nouveau, autour d’images d’Épinal perdues. Le monde évolue trop vite pour que les programmes scolaires se contentent d’ânonner des décennies d’apport intellectuel largement dépassé. Ce sera le meilleur moyen pour que les jeunes ne traitent plus les parents de « has been » et que le respect des valeurs s’impose à nouveau. Car, à ne pas prendre en compte les demandes – pourtant explicites de générations nouvelles qui arrivent – le rejet de la famille et de la patrie sera de plus en plus agressif….
Jacques Roux
