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      Les asexuels : comment font-ils ?

      Les asexuels : comment font-ils ?
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      Ils n’ont pas de désir, donc pas de sexualité. Sont-ils de grands enfants ou des êtres d’une maturité exemplaire, gérant leurs pulsions au gré d’envies sélectionnées ? À l’inverse, cachent-ils détresse et désarroi ? Autant de questions qui poussent à redéfinir la virilité et ses complexités.

      Les asexuels touchent une minorité d’hommes : 5 % environ de la population masculine. Mais on se doute combien il est difficile de se fier aux statistiques dans un secteur aussi intime. Si les hommes interrogés semblent sincères, grand nombre d’entre eux assure ne connaître que peu de problèmes liés à la sphère génitale. Quoi qu’il en soit, les chiffres importent peu. Semble plus important de comprendre ce que cette catégorie humaine implicite en revendiquant haut et fort ce qu’elle affirme être un choix assumé, dont elle ne souffre pas.

      Ni déçus, ni défaitistes


      Après sondage, il est tout à fait discutable de chercher à établir le portrait type de l’asexuel. Celui-ci peut-être aussi bien cadre supérieur qu’ouvrier. En revanche, le sport n’est pas sa tasse de thé. L’asexuel aimera lire, écouter de la musique, participer aux jeux de sociétés, peindre, sculpter (raisonnablement), aller au cinéma (un peu moins au théâtre). Ce qu’il privilégie par-dessus tout, c’est le calme et qu’on lui fiche la paix. Le bruit l’indispose. On note également chez lui un côté féminin, un peu plus développé que la moyenne. Sans cependant pouvoir en retirer de conclusion évidente. À 39 ans, Luc, sur un ton plutôt monocorde, ne cherche rien à prouver. Notaire, fils de notaire, costume gris classique, chemise bleu ciel, cravate rosée, il semble surpris que ce sujet puisse intéresser un lectorat : J’ai connu Sandra à l’âge de 20 ans. En fac de droit. De trois ans mon aînée, elle ne se cachait pas d’avoir beaucoup papillonné. J’ai cru, au début de notre relation, que c’était le récit de ses aventures amoureuses précédentes qui affaiblissait mon désir. Elle m’a laissé tomber car elle trouvait mon appétit sexuel insuffisant. Elle m’a même demandé un jour si je n’étais pas homosexuel… Pendant quatre ans, je n’ai jamais été attiré par une autre fille. Puis, ma cousine m’a présenté sa meilleure amie : coiffeuse, il me semblait perdre mon temps avec elle. À l’idée d’aller me mettre au lit le soir, j’en étais malade. Compréhensive, elle patientait. J’ai fini par rompre de peur d’être malhonnête avec elle. D’autant qu’elle voulait un enfant. Moi non. Pendant six ans, plus aucune femme… Lydia est arrivée un peu par hasard. La nouvelle secrétaire de mon père. Elle avait tout pour elle. Intelligente, vive, bien élevée, calme, douce… Cependant, après six mois de vie commune, le scénario s’est remis en place. À l’identique. Libido à zéro. Nous nous sommes séparés d’un commun accord et sommes restés amis. J’ai décidé de stopper toute possibilité de rencontre affective. Je suis plus heureux sans femme… Et pourtant, Luc et ses compagnons de route ne sont pas malades. Ils ont des centres d’intérêt multiples, des relations sympathiques, une bonne situation, un solide relationnel parental et familial. Qu’est-ce qui échappe alors à la logique humaine ?

      Le premier amour en miroir


      L’erreur serait d’analyser l’asexualité en prenant comme référent absolu les travaux freudiens. Certes, la vie démarre en amour. Celui-ci se transforme rapidement en haine. Ça s’arrange peu ou prou. Mais le complexe d’Œdipe se met en place, générant un sentiment d’exclusion (inhérent à l’interdit de l’inceste), compliquant encore les choses. L’amitié vient progressivement au secours de ces déceptions primaires. Le temps passe et les instincts amoureux engendrent plusieurs rencontres qui nous malmènent le plus souvent. Rien de nouveau dans tout cela. Le fantasme peut se charger, a posteriori, de modifier les liens parentaux. Soit en les idéalisant, soit en les déniant. S’il n’est pas question d’oublier la genèse de nos comportements amoureux, être asexuel, c’est quand même encore autre chose… Luc a eu la gentillesse de nous parler de Sandra, son premier amour. Il nous a raconté clairement que la jeune femme lui parlait beaucoup de ses conquêtes précédentes. Ce qu’il n’avait pas aimé… La piste se révèle, en fait, intéressante. Sa partenaire n’avait pas – bien entendu – à lui donner les détails de ses récits plus ou moins érotiques. Il n’en demeure pas moins qu’il l’a rencontrée et choisie. Cette alliance, tout aussi négative qu’elle ait pu être en apparence, doit retenir l’attention. Elle, plus que les deux autres. Effectivement, notre premier élan amoureux situe les fondements de notre vie sexuelle et affective future. Sandra s’est donc décrite comme plutôt boulimique d’hommes, même si elle n’est a priori pas nymphomane. Autrement dit, Luc s’est tout de même « nourri » des exploits et des prouesses psychosexuelles de son amie. On voit bien ici que l’asexuel va se contenter du désir assouvi de ses partenaires. Il les vampirise (inconsciemment), amasse une quantité de libido non négligeable et s’en repaît. Vous pourriez opposer à ce raisonnement que la source peut se tarir. Pas le moins du monde. Tout simplement parce que l’inconscient, communiquant muettement avec autrui, va élire ses proies en silence. Nous avons la preuve de cette façon – malgré tout plutôt perverse – de fonctionner en pensant à certains individus qui se disent cinéphiles : ils ingurgitent un nombre impressionnant de films dans l’année, de préférence intimistes… Ils finissent par vivre par procuration, se prenant pour le héros (ou l’héroïne) du scénario. Quelques uns d’entre eux vont jusqu’au mimétisme physique et vestimentaire. Ils arrivent à se prendre pour l’acteur principal. Ils ont tous en commun une vie amoureuse d’une pauvreté accablante… L’asexuel, tel le cannibale, a donc pour particularité de fréquenter les personnes qui pourront lui donner de quoi introjecter tout le plaisir qu’il veut. Mais sans prendre le risque du moindre refus, du moindre échec, de la moindre rupture, du plus petit engagement… C’est ainsi que vous n’entendrez jamais ce type de profil (pathologique ?) se plaindre de sa situation. Dans son illusion, il vit intensément toutes les frasques possibles et imaginables d’une existence sexuelle assouvie. Il en retire un autre bénéfice non négligeable : sa profession ne fait jamais les frais d’une dérive amoureuse. C’est pour cela qu’employé, il sera toujours bien noté et qu’employeur, ses affaires seront en général prospères. Il s’agit là d’un leurre plus démoniaque qu’il n’y paraît. Outre le fait qu’en majorité les asexuels n’ont pas d’enfant, ils se privent d’un grand bonheur : celui de faire l’expérience de l’amour. Mais surtout de booster le don qui est logé en chacun d’eux. Celui-ci, de par le fonctionnement propre à l’être humain, ne peut être libéré que s’il a la possibilité d’être mis en lien avec un récepteur spécifique. Si l’amour ouvre les portes, c’est parce que, seul, le destinataire aimé peut authentifier nos potentialités en sommeil. La maîtresse de maison attendra l’appréciation culinaire de ses invités. Un enfant sera encouragé dans ses progrès par des parents dans l’écoute et dans l’accueil. Un amoureux sera à sa place puisqu’il donnera à sa conjointe le meilleur de lui-même. Ce qu’elle saluera explicitement. Monique Charles, auteur de La psychanalyse ?, paru chez L’Harmattan, pose ainsi l’existence de Dieu en ces termes : Dieu… s’il existe… Il m’aime, car je suis prête à l’aimer…, après qu’elle ait écrit dans ce même ouvrage : La recherche de l’amour est nécessaire pour faire naître et croître en nous la sérénité quant à ce que nous sommes…

       

      Chantal Calatayud

       

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