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La psycho
dans Signes & sens
Les interdits
sont dans la tête !
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Au cours d’un repas, un enfant de 16 mois, assis sur les genoux de son grand-père, prit un sucre dans la boîte qui se trouvait devant lui et commença à le déguster lentement. Le grand-père assura que l’enfant n’en prendrait pas un second. Le père intervint alors : « On ne veut pas le rationner mais éviter les excès car ils entraînent le vice ». L’enfant est manifestement à cet âge où il découvre le goût des choses ; il picore, bien qu’ayant déjà pris son repas, savourant et partageant la nourriture du groupe. Cet interdit, posé au début de sa vie, fera son chemin, non seulement dans le domaine de l’alimentation, mais aussi ailleurs : au niveau corporel et psychique. Peut-être même n’est-il que dans la suite de ses premières tétées où le temps imparti à chaque sein aurait été compté ?
Quand on regarde les revues, les livres, les émissions de télévision concernant les conseils pour être en bonne santé, on est submergé d’informations. Celles que l’on retiendra et les suggestions que l’on appliquera seront filtrées par une logique subjective ; celle-ci tient compte de notre mode et autre cadre du quotidien, travail et activité sociale, ou de logiques affectives, comme Ma grand-mère utilisait des cataplasmes d’argile pour ses abcès ; mais, surtout, cette logique tient compte des habitudes inconscientes qui font qu’on porte un intérêt immense pour tel régime, méthode, conseil ou qu’on proscrit tel aliment, activité ou coutume. Il est à noter combien parfois on met de zèle, d’énergie, voire de renoncement, pour appliquer les règles de bonne conduite pour vivre sain.
Un choix ambivalent
Léon avait choisi d’être végétarien et bien plus que ça : de ne manger que du riz complet tous les jours, agrémenté d’une sauce de légumes qui variait peu. Il s’accordait soit un œuf, soit du fromage de chèvre en plus de son riz. Il lisait nombreux textes de Sages de l’Orient, avait beaucoup voyagé dans ces pays et s’était inspiré du régime alimentaire de l’un d’eux. Or, un jour, il apprit qu’un de ces Sages venait de mourir emporté par un cancer, à l’âge de soixante ans. Justement, ce même jour, il revenait des obsèques d’un ancien du village : quatre-vingt-douze ans, bon mangeur, bon buveur et bon fumeur devant l’Éternel. Peu de temps après, son père aussi décédait, « parce qu’il avait fini de vivre » aurait dit Françoise Dolto. C’est alors que Léon quitta ses habitudes d’ascète qu’il menait depuis quelques années ! Ainsi parle-t-on souvent d’excès qui se situent au niveau du plaisir, mais que d’excès viennent aussi des interdits ou des injonctions !
Des limites protectrices
Damien commençait à marcher depuis trois semaines. Il était heureux d’agrandir le champ de ses découvertes. Au cours d’une fête où se sont retrouvées une trentaine de personnes, il évoluait parmi l’assemblée. Il attrapait sur les tables quelques restes du festin, les goûtait, puis les reposait. Parfois, c’était même le goût du métal de la cuiller ou le caillou blanc qu’on distinguait mieux dans la nuit qui attirait sa découverte gustative. Et puis il s’est approché de l’évier et a trouvé l’eau de javel. Quelqu’un est intervenu avant la catastrophe et l’a empêché d’y toucher sans le gronder mais avec fermeté. Protecteur ici, le geste de l’adulte signifie à l’enfant que tout n’est pas consommable.
Les vérifications
Ainsi en va-t-il des conseils ou interdits que nous recevons mais que nous n’avons pas toujours vérifiés. Il arrive que nous les acceptions tels quels, parce que nous n’avons pas la possibilité d’en discerner les raisons. D’autres fois, nous appliquons ce qui est ordonné : surgit alors pernicieusement un malaise consécutif au conflit entre le plaisir de faire autrement et la culpabilité d’enfreindre l’interdit. Parfois encore, nous mettons à l’épreuve les expériences des autres (!) en nous engageant, par exemple, dans un régime ou un jeûne ou une activité particulière et inadéquate à ce que nous sommes… Cependant, il est tout de même à noter qu’en le faisant avec curiosité pour découvrir des espaces encore inconnus et partager ces nouvelles découvertes, les limites que nous nous imposerons seront, en fait, malgré tout aussi les nôtres…
Anne Monferrer
Mieux vaut prévenir
Sigmund Freud explique que l’interdit ne se pose pas n’importe comment. Ainsi prend-il l’exemple d’un trouble-fête qui, lors d’une conférence, serait exclu manu militari de la salle. Celui-ci n’en continuerait pas moins à troubler la réunion en tambourinant sur la porte, une fois dehors. C’est l’image que donne le psychanalyste du refoulement. L’interdit a besoin d’être intégré et accepté, au risque sinon d’être transgressé avec beaucoup plus de dommages. Pour exemple, la prohibition de l’alcool aux États-Unis a engendré une délinquance majeure en développant un trafic clandestin. Ainsi, prévenir la transgression en expliquant le bien-fondé de l’interdit sera toujours préférable à une répression aveugle qui ne devrait être utilisée que pour protéger le plus grand nombre.
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