Il existe en Chine une province très proche du Viêtnam. Sa capitale est Kunming. Rien d’extraordinaire jusqu’ici. Sauf que la mentalité sexuelle des 37 998 000 habitants de cette région se révèle étonnante.
Les Na ont une idée du plaisir amoureux tout à fait singulière. L’engagement du couple y prend des tonalités paradoxales. Non pas parce que la possessivité n’est pas de mise, elle est même censurée, ce qui est plutôt bien. Mais, pour les Na, fidélité rime avec immoralité ! Leur raisonnement se défend : sans liberté, point de salut… La jalousie se révèle un poison redoutable. Leur idée de la sexualité prend cependant des allures déstabilisantes si on ne prend soin d’analyser la situation sans regard un tant soit peu sociologique…
Le tabou de l’inceste transgressé
Il est certain qu’une observation minutieuse s’impose. Il est banal qu’un homme Na ait des relations sexuelles avec sa très jeune fille… Curieusement, le non du père (pas plus que le Nom-du Père) ne fait pas partie de l’inconscient collectif de cette tribu. Ce qui rend particulièrement complexe une réflexion qui serait essentiellement mise à la lumière du célèbre postulat freudien : l’universalité des interdits inconscients oedipiens. Ce n’est donc pas cette piste qu’il faut prendre. Il s’avère incontournable d’étudier les Na en n’oubliant, en aucun cas, qu’ils n’appartiennent pas à un système filial patrilinéaire. Au contraire même. Car chez les Na, seule l’ascendance par les femmes compte ; ce sont elles qui transmettent nom, règles et statuts ; ce sont elles, par exemple, qui décident exclusivement de la famille dans laquelle choisir le futur marié. Il s’agit donc ici d’un mode matrilinéaire. La notion de parentalité n’existe pas. Le père est dénié. Il ne vaut que pour l’accouplement dans lequel le plaisir, et ses limites structurantes transgressées, prend le pas sur l’injonction à pérenniser la race. D’autant que la consanguinité étant première, on ne compte pas tous les enfants congénitalement handicapés cérébraux et/ou moteur…
La récupération du concept d’objet
Personne – pas même l’autorité souveraine de la Chine – n’arrive à venir à bout de ce phénomène ancestral plus que discutable. D’autant que le gouvernement n’est pas sans ignorer le nombre important d’enfants tués par les femmes à la naissance, dès lors qu’elles les trouvent anormaux ou pas à leur goût… Siam, âgée maintenant de 82 ans, raconte avec conviction que lorsqu’elle était petite, certains de ces enfants assassinés n’étaient pas enterrés, mais jetés en pâture aux animaux : une véritable curée. Pour Yoko, ancien professeur de chinois à Paris, revenu à la retraite dans sa province délirante, cette pratique ancestrale s’étaye sur un fondement lié à un système de croyances spécifiques : Efforcez-vous, dit-il, de resituer les choses dans un contexte précis. Il y a du sacrifice dans ces agissements démoniaques. Pour les Na, ces enfants malades, difformes, sont assimilés au diable. Car, pour cette communauté, l’inceste - potentiellement dégénératif - n’existe pas. Les concepts d’époux ou de patriarche sont absents de leurs raisonnements. Leurs limites se situent ailleurs. Détestant tout ce qui peut s’apparenter à de la rivalité, celle-ci n’a pas à être. Il n’y a pas de lutte au sens domination mâle, comme dans l’ensemble des sociétés actuelles. Vous n’avez pas à être choqués par des traditions millénaires qui ont forgé leur groupe par l’utilisation d’une forme de respect toute personnelle… Facile à dire mais difficile à admettre à ce stade d’information… Car, à force de ne pas vouloir considérer l’être humain comme une monnaie d’échange, une déduction basique analytique renforce la position d’objet et non pas de sujet. Dès lors, le regard d’autrui (et donc de la mère) décide d’une ségrégation aux allures d’eugénisme. Ce n’est pas sans rappeler les atroces méthodes nazies… Accepter la mentalité Na reste, quoi qu’il en soit, quasiment insupportable.
Les rendez-vous nocturnes
On nage en plein paradoxe. Si les choses sont aussi évidentes et claires pour la communauté Na, comment se fait-il alors que l’homme, au plus noir de la nuit, aille assouvir quelques envies pulsionnelles avec la jeune fille (souvent à peine pubère) ou la femme de son choix ? Fantasmes devenus réalité ou expression de leur juge intérieur ? Yoko veut bien répondre : Vous êtes dans l’erreur. Les femmes font la même chose. Elles choisissent le nombre de partenaires qu’elles veulent, y compris dans une même nuit. Tout simplement parce que les Na travaillent comme des bêtes la journée. Ils ont peu de loisirs. Pour eux, la sexualité débridée est une détente. Ce n’est pas pire que regarder des films pornos à la télé… Ou d’agresser sexuellement des innocents… Yoko sait très bien qu’il n’est pas convaincant. De fait, il nuance son propos : Je sais que, pour vous, ces visites secrètes sont synonymes de honte. Mais, observez le comportement nocturne des enfants. Ne viennent-ils pas la nuit se glisser dans les draps du couple parental pour essayer de vivre leurs désirs oedipiens? Les Na en sont restés là. Primaires, ils le sont. Statistiquement le Yun-Nam est la partie de la Chine qui compte le moins d’universitaires. C’est vrai que les Na sont de plus en plus montrés du doigt dès qu’ils mettent les pieds à la faculté. C’est le brassage de cultures qui les marginalise. Ces jeunes ont honte parce qu’ils sont pris dans un étau douloureux : respecter la fidélité filiale ou trahir leur héritage confortable. L’amour chez les Na refuse l’idée même de cannibalisme… Yoko met ici l’accent final. Les détails qu’il nous donne renvoient quelque part, et pour d’autres raisons, au drame de la colonisation dès l’instant où on peut violer, par ignorance, les us et coutumes d’une culture différente. Et pourtant, il est difficile d’imaginer l’amour se voulant égocentrique. Repliés sur leurs certitudes psychosexuelles, infantiles à souhaits, les Na s’évertuent à oublier une chose primordiale : l’Amour universel ne peut en aucun cas connaître de frontières. Il en va de l’avenir, du progrès et de l’humanisation de la planète…
Chantal Calatayud