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La psycho
dans Signes & sens
« Madame Bovary »
de Gustave Flaubert |
La littérature du XIXème siècle compte, avec « Madame Bovary », une œuvre d’une portée psychologique incontournable. Gustave Flaubert s’inspire, pour l’écrire, d’un fait divers réel : le suicide de Madame Delamare, une bourgeoise à la vie dissolue. D’où le qualificatif de réaliste donné à son roman. Écrit en 56 mois et d’abord publié sous la forme d’un feuilleton, l’ouvrage sort en librairie en février 1858. Il dérange la société des bien-pensants, déclenchant les foudres de la justice qui l’accuse d’incitation à la débauche. Il est vrai que l’héroïne, vivant hors de la réalité à la suite de ses lectures romanesques, finit par en oublier le monde qui l’entoure. L’avocat de Gustave Flaubert, Antoine Jules Sénard, retourne l’accusation. L’auteur est acquitté mais écope cependant d’un blâme pour « le réalisme vulgaire et souvent choquant de la peinture des caractères ». Toutefois, le public ne s’y trompe pas et plébiscite le roman. La postérité a, depuis, largement reconnu l’importance de « Madame Bovary » jusqu’à forger le terme de « Bovarysme » pour définir cette propension à s’illusionner, en germe chez tout individu. Loin d’inciter à l’amoralité, Flaubert fait œuvre, à l’inverse, d’une subtile pédagogie puisqu’il permet au lecteur de saisir les mécanismes psychologiques en jeu lors de la descente aux enfers d’Emma Bovary, s’inscrivant de fait dans une saine prévention…
Une jeune fille romanesque
Emma Rouault, fille d’un cultivateur aisé, épouse, sous les injonctions de son père, Charles Bovary, veuf et officier de santé de son état. Emma, nourrie par les lectures romantiques de sa jeunesse, pense que cette union est l’occasion de réaliser tous ses fantasmes lyriques. Mais, bien vite, la désillusion est là et son époux est affublé du qualificatif de « médiocre », ne répondant pas à ses exaltations.
Le mirage du château de la Vaubyessard
Alors que la vie du couple devient peu à peu monotone, survient une étape déterminante du roman. Les Bovary sont invités à une réception chez le marquis de Vaubeyssard. Emma a enfin l’occasion de pénétrer dans le grand monde qu’elle ne connaissait jusque-là qu’au travers de ses lectures. Gustave Flaubert décrit avec talent les perceptions de son héroïne toute entière subjuguée par le spectacle, les conversations et les plaisirs de cette soirée qui continuera à la hanter longtemps, tel un rêve éblouissant dont elle ne pourra plus se défaire.
Yonville-l’Abbaye
Après cette expérience, le fossé entre l’idéal et la réalité se creuse inexorablement. Emma est enceinte lorsque Charles, conscient du mal-être de sa femme, décide de déménager à Yonville-l’Abbaye. La naissance de leur fille la distrait quelque temps de l’ennui conjugal mais Madame Bovary n’abandonne pas pour autant son romantisme maladif. Elle fait la connaissance du jeune Léon avec qui elle se sent liée par une mystérieuse sympathie. Une idylle toute platonique se fait jour, dont les aspects psychologiques sont admirablement décrits par la plume de Flaubert. Emma reste cependant fidèle à son devoir d’épouse et Léon la quitte pour aller vivre à Rouen. Ce départ la laisse désemparée et plus seule et dépressive qu’avant. Elle devient alors la maîtresse de Rodolphe, riche propriétaire terrien, dont elle est follement éprise. Malheureusement, sa passion est loin d’être partagée. Lorsqu’elle le supplie de les enlever, elle et sa fille, à un mari qu’elle juge sans ambition, l’amant refuse et l’abandonne…
La déchéance
Allant de désillusion en désillusion, Madame Bovary tombe malade. Pendant sa convalescence, son mari décide, pour la distraire, de l’emmener au théâtre à Rouen. Au cours du spectacle, elle retrouve Léon à qui elle se donne enfin corps et âme. À partir de cette passion, le lecteur assiste à la déchéance de l’héroïne. Mensonges et achats compulsifs s’accumulent lors de ses nombreux déplacements à Rouen, endettant la famille. Son ménage ne compte plus aux yeux de l’amante. Une sorte d’inflation psychique envahit son esprit. Curieusement et contre toute attente, la relation adultère ne la satisfait pas : elle souhaite des « amours de prince » désespérément inaccessibles. Menacée par la saisie des biens, Emma choisit de mettre fin à ses jours en s’empoisonnant à l’arsenic. Son mari, accablé de chagrin, meurt après avoir tout pardonné.
Une œuvre évolutive
Le poète, mais également critique littéraire, Charles Baudelaire, a écrit, à propos de « Madame Bovary » : Une véritable œuvre d’art n’a pas besoin de réquisitoire. La logique de l’œuvre suffit à toutes les postulations de la morale et c’est au lecteur de tirer les conclusions de la conclusion… Là se situe fort justement le talent de Gustave Flaubert. Son long roman convie le lecteur à une rencontre avec lui-même, tant les situations rencontrées au fil des pages parlent à chacun, quelle que soit son histoire. « Madame Bovary » est un chef d’œuvre à lire ou à relire aussi car il pose les jalons d’une réflexion salvatrice sur l’existence et sur la société de son époque. Anticipatoire, il le fut quant à la considération qu’un certain Jean-Martin Charcot a pu accorder à ces femmes de l’époque, souvent mal mariées, que l’on accusait de lubricité alors qu’elles souffraient d’un conflit psychique. À sa suite, Sigmund Freud a pu enfin les écouter… et les soulager. C’est dire toutes les conséquences positives que peut apporter à l’humanité un roman où tout est dit, sans censure aucune…
Gilbert Roux
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