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La psycho
dans Signes & sens
La télé-réalité,
un besoin de reconnaissance
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Le 6 Mai 2006, tandis que les médias fêtaient les 150 ans de la naissance de Sigmund Freud, grondait une vaste polémique dans le domaine de la psychanalyse. Les titres livrés en pâture dans la presse en disaient long sur le malaise, semant le doute sur la discipline du fondateur.
Ce conflit idéologique n’entame cependant pas la place singulière accordée à cette science ; celle-ci ne se cantonne plus à l’intimité du cabinet mais ose s’inscrire dans la vie culturelle de chacun. Le phonème psy utilisé dans le langage courant atteste de la compréhension, de l’intégration et de l’expansion des mécanismes psychiques. Il s'agit-là du témoignage que la psychanalyse établit un lien entre l’individu et le social. Et si l’on parle aujourd’hui de planète psy, au grand dam de certains réfractaires qui se sentent envahis par quelques théories jugées prétentieuses et définitives, n’oublions
pas que le génial Freud la définissait surtout comme
un instrument impartial pour soulager la souffrance
humaine.
Victimisation ou exhibitionnisme ?
Ainsi, à l’heure de la télé-réalité et des nombreux talk show où l’anonyme aime se raconter, pas un journal ni une émission de télévision ne pourraient
se passer de l’intervention d’un professionnel de la
psyché : explorateur, décrypteur, prospecteur des
aspects les plus obscurs de notre personne, il coopère
là où l’intime se dévoile publiquement, là où l’indicible
s’avoue parfois indécemment. Et loin de porter
un regard critique ou accusateur, ou encore de s’ériger
en théoricien péremptoire du psychisme humain,
il propose, à travers la trame de l’univers médiatique,
quelques repères utiles et autres réflexions avisées à
une société en questionnement. La forte tendance à
l’individualisme et à l’épanouissement personnel a
logiquement entraîné un repli sur soi ; ce processus
confine à l’isolement et au manque de communication
pour certains à la recherche d’un tiers capable d’atténuer, sinon d’annihiler, inhibitions, angoisses,
cauchemars, colères. Quitte à passer par l’image, par
le regard, quelquefois juste pour avoir droit à son
quart d’heure Warholien, grâce à la télé-réalité, grâce à son blog. Et ce, dans toute la banalité de son quotidien
ou la surprenante révélation de sa différence :
apitoiement, nombrilisme, victimisation ou exhibitionnisme
?
La lucarne magique
Cette mise à nu publique va de pair avec un profond
besoin de reconnaissance : aujourd’hui, sortir de l’anonymat
semble constituer la condition ultime de
l’existence, le sens même de la vie. Notre société
consommatrice à l’extrême, qui fabrique du rêve à tout
va, entretient le succès, la compétition, la richesse,
comme autant de valeurs sûres. La nouvelle génération,
avide de notoriété, place tout espoir d’une vie
meilleure dans la lucarne magique, véritable sésame
du bonheur.
Alors que l’absence, la démission ou la dévalorisation
du père dont l’autorité, jadis, faisait loi, entraînent une fixation pathologique à l’univers maternel, avec son
lot de désirs aliénants et d’angoisses, la jeune génération n’est
plus confrontée à des règles fondamentales frustrantes ou culpabilisantes
: de fait, étant dans l’incapacité de renoncer à ses
rêves de gloire et de toute-puissance, elle s’identifie aveuglément à un Zidane ou autre star internationale ; elle espère
ainsi d’une part, combler les ambitions parentales, d’autre
part, dissiper des peurs internes. Or, c’est l’interdit et la frustration
qui révèlent à l’enfant l’intensité de son désir.
L’individu, par essence être de plaisir, tend pulsionnellement
vers la satisfaction de ses besoins. Mais à confondre désir et
besoin, il se perd dans l’immédiateté et l’instantanéité qui
caractérisent le monde actuel, dans des quêtes hédoniques
illusoires de destins exceptionnels où se mêlent fierté narcissique
et complexe de supériorité. De plus, s’identifier au désir d’un autre est stérilisant. Certes, si ce désir peut être structurant,
n’oublions pas qu’il peut aussi être mutilant dès lors
qu’une idéalisation infantile surgit.
Une recherche de communication
Cette propension au déballage médiatique s’explique en partie par le fait que l’humain est constamment, et ce depuis sa conception, à la recherche de communication. Marqué par le manque, il est doté d’une appétence hors du commun à l’échange, à la complétude. Donc, à défaut de repère familial, les interlocuteurs télévisuels servent de références collectives,
légitimant une parole, validant un comportement, libérant un
malaise. Les médias permettent un choix multiple d’identifications
tout en ramenant aussi à une certaine normalité rassurante. L’intervention télévisuelle ou radiophonique du
psy se veut alors une sorte de garde-fou, comme le médecin
modèrerait l’utilisation excessive de médicaments, comme le
chirurgien tempèrerait l’abus d’actes chirurgicaux : caution
d’une certaine rationalité, le psy « vu à la télé » authentifie
l’existence de fantasmes, de désirs, est attentif aux expériences, « dépathologise », rappelle des références normatives et
humanisantes. Et surtout réinstaure un principe de réalité primordial.
Sans être un donneur de leçons, ni s’ériger en théoricien
absolu d’un savoir ou d’une morale mais au contraire en
désillusionniste, le professionnel peut ainsi offrir la possibilité
de penser autrement, d’élargir son horizon personnel, d’accompagner
vers un mieux-être. Si les médias ne sont en aucun
cas le lieu d’une consultation thérapeutique, ils proposent
donc, grâce à l’aide de ces nouveaux psys, un éclairage analytique
sur des préoccupations quotidiennes. Il y a effectivement
une interaction évidente entre les perturbations sociales
et les malaises personnels. Tant mieux si cette prise en compte
de la souffrance de l’Homme apporte compréhension, tolérance
et acceptation et gageons, de fait, que la psychanalyse a
encore de beaux jours devant elle.
Bénédicte Antonin
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