Danielle Laporte, décédée en 1998, était psychologue clinicienne, conférencière de renom et auteur de nombreux ouvrages sur la psychologie de l'enfant et sur les relations entre parents et enfants. Si elle a abordé avec simplicité et précision des sujets difficiles, voire brûlants (discipline, maladie, conflits conjugaux, séparation, stress, bonheur, etc.), elle nous laisse aussi en héritage le goût de vivre pleinement le plaisir d'être parent. Car être parent, ce n'est ni un art ni un métier, mais une affaire de cœur ! Dans son ouvrage “ Être parent, une affaire de cœur ” publié dans la collection de l'Hôpital Sainte Justine pour les parents (collection qui bénéficie du soutien de la Fondation de l'Hôpital Sainte Justine de Montréal), Danielle Laporte dresse une série de portraits saisissants : l'enfant timide, agressif, solitaire, fugueur, déprimé, etc.
Avec ses qualités de cœur, l'auteur, mère de trois enfants, nous livre aussi des réflexions éclairantes et pleines de sensibilité sur la confiance en soi, l'ami imaginaire, l'intimité et la générosité. Elle invite chaque parent à découvrir son enfant et à l'accompagner dans le long périple qui mène à l'autonomie.
Aimer beaucoup, c’est aimer gros
- Je t'aime, mon petit loup !
- Tu m'aimes gros comment ?
- Gros comme le soleil qui brille, gros comme la lune et les étoiles réunies, gros comme le monde entier ! Et toi, tu m'aimes gros comment ?
Laurent réfléchit très fort et répond en se jetant dans les bras de sa maman
- Gros comme l'éléphant de mon livre d'histoires ! ...
Pour les jeunes enfants, aimer beaucoup, c'est aimer gros parce qu'ils ont besoin de comparer les sentiments trop abstraits à des choses concrètes et mesurables. Ainsi, avoir un grand cœur pourrait signifier pour eux que leur petit cœur grossit et occupe plus de place dans leur poitrine. D'ailleurs, même les adultes utilisent un vocabulaire imagé pour définir l'amour et la générosité : avoir un grand cœur, avoir le cœur gonflé de joie, avoir le cœur sur la main ou, tout simplement, avoir du cœur. Le cœur, cet organe vital, représente la générosité et l'amour. Et ce n'est pas un hasard !
“ Je te donne… ”
Chaque année, la période des Fêtes nous rappelle que donner, c'est dire Je t'aime avec des gestes, avec des cadeaux ou avec des petits mots doux écrits sur de jolies cartes bien choisies. Tout le monde sait bien qu'il y a une immense différence entre le fait d'acheter un cadeau “ obligatoire ” pour une tante qui nous reçoit, pour un neveu qui nous exaspère ou pour un collègue de bureau que le hasard a désigné et celui de planifier l'achat d'un cadeau de cœur pour notre conjoint, pour un ami cher et pour nos enfants. Derrière le cadeau acheté par amour se cache, en fait, un don de soi. En ce sens, l'enfant, même très jeune, fait régulièrement des cadeaux en nous donnant ses dessins, en cueillant une fleur à notre intention ou en nous confiant son caillou le plus précieux. Son geste signifie Je te donne quelque chose de précieux, quelque chose qui vient de moi pour que tu penses à moi et que tu me gardes dans ton cœur pour l'éternité. Je veux aussi te dire de cette façon que tu es une personne très importante pour moi parce que je suis attaché à toi par des liens d'amour très forts.
Nos difficultés à recevoir
C'est pourquoi il est très important de reconnaître la valeur sentimentale d'un cadeau bien avant sa valeur monétaire ou sociale. C'est en soulignant l'émotion (surprise, joie, amour) qui se cache derrière l'objet que le parent amène l'enfant à prendre conscience de l'importance d'exprimer ce qu'on ressent et du bonheur qu'il y a à être reconnu dans ses sentiments. Nombreux sont les adultes qui sont gênés ou mal à l'aise lorsqu'ils reçoivent des cadeaux. Malheureusement, ils ont appris à donner – et souvent plus par convention que par conviction – mais non à recevoir : Dis merci, souris, dis que tu es contente... Les émotions deviennent confuses et les réactions ne sont plus du tout spontanées. Nous sommes parfois (ou souvent) déçus comme des enfants car nos attentes sont très grandes et nous croyons que recevoir un gros cadeau signifie être beaucoup aimé. Quelquefois, nous sommes intimidés parce qu'il ne nous est pas habituel de recevoir des marques tangibles d'affection et nous ne savons vraiment pas comment réagir. Il arrive également que nous soyons gênés parce que nous ne croyons pas mériter tant d'amour ; autrement dit, nous ne nous estimons pas suffisamment pour accepter une preuve d'amour.
Une question d’équilibre
La personne généreuse est sensible aux autres, capable de sortir de son égocentrisme et du Je suis le nombril du monde pour se mettre à la place des autres et aller au-devant de leurs besoins, se décentrer de soi pour se centrer sur l'autre. Tous les parents pratiquent régulièrement cette forme de générosité puisqu'ils doivent être à l'écoute de leur enfant pour guider son développement. Mais tous les parents ont aussi fait l'expérience d'être au bout du rouleau s'ils ne prennent pas le temps de satisfaire leurs propres besoins. Tout est question d'équilibre. Les enfants sont essentiellement égocentriques jusqu'à l'âge de 7 ou 8 ans. C'est là une loi naturelle de leur développement. Les parents peuvent et doivent aider leur enfant à s'oublier un peu lui-même pour penser aux autres, pour se mettre à leur place et, de façon ultime, pour chercher activement à leur faire plaisir. De petites phrases comme Qu'aurais-tu fait si ton ami t'avait poussé comme tu l'as fait ?, Veux-tu m'aider, on va préparer une surprise pour grand-maman ?, Je me demande comment je pourrais aider Nathalie lorsqu'elle rentrera de l'hôpital ? As-tu une idée ?, ces petites phrases invitent l'enfant, dans un premier temps, à observer les autres, puis à penser à eux. Evidemment, un parent qui est généreux, qui fait du bénévolat par exemple ou qui pratique régulièrement l'entraide, est un exemple vivant pour son enfant.
Un cœur gros comme un éléphant !
La générosité fait appel au sens moral ainsi qu'à des valeurs et à des principes humanistes ou religieux. Ce n'est qu'au début de l'âge adulte, autour de 18 ans, que l'être humain accède à une morale basée sur des principes universels comme la liberté, l'égalité et le respect des autres. Cependant, bien des adultes n'accèdent jamais à ce type de morale et s'arrêtent en chemin dans le développement de leur pensée. De 4 à 10 ans, l'enfant porte des jugements qui sont basés sur les interdictions de ses parents et sur la peur d'être puni s'il déroge aux règles. Sa morale est alors qualifiée de préconventionnelle. De 10 à 18 ans, il reconnaît que les autres posent des jugements subjectifs sur ses actions, qu'il doit respecter des lois et des règles et, finalement, qu'il peut lui aussi porter des jugements sur le système. Nous disons qu'il a acquis une morale conventionnelle.
Certains chercheurs ont conclu qu'il y a une relation directe entre le jugement moral et les comportements prosociaux des jeunes. Plus le jugement moral est développé, plus les comportements sont adaptés socialement. Dans ce domaine comme dans d'autres, les parents ont un rôle à jouer pour favoriser le développement moral de leur enfant. Ils doivent cependant accepter qu'un jeune enfant n'agisse pas en fonction de principes, mais plutôt par rapport à son besoin d'être bien jugé et aimé par ses parents. Demander à l'enfant de faire de petites courses gratuitement ou encore d'aider le voisin à pelleter la neige sans lui demander de l'argent l'aidera à trouver du plaisir... à faire plaisir.
Mon plus jeune fils a le cœur sur la main. A l'occasion d'un téléthon, il avait promis par téléphone une somme. Par la suite, il a oublié d'envoyer son don. Lorsqu'il a reçu une lettre réclamant le montant promis, il a fallu que je lui rappelle le sens de son geste spontané. Mon fils a un cœur généreux mais il doit apprendre à concrétiser ses idées et à passer de l'intention à l'action. Dans la même lignée de pensée, notons qu'il ne suffit pas de parler de la nécessité de l'entraide ; il faut trouver également des façons concrètes pour aider les enfants à passer de la parole au geste. Et pourquoi ne pas agir, nous aussi, tout en expliquant à nos petits pourquoi nous posons tel geste généreux ou tel autre ? La générosité, c'est avoir un grand cœur. Un cœur grand comme le monde, capable de donner mais aussi capable de recevoir. C'est avoir un cœur gros comme le plus gros éléphant des livres d'histoires !
Danielle Laporte*
*Pour en savoir plus, lire :
" Être parent : une affaire de cœur " (2e éd.)
Editions Hôpital Sainte Justine
