Depuis qu'en tant que psychologue et psychothérapeute, j'anime des formations au Cefem et à la Fondation Dolto ou encore lors des stages de développement personnel, je suis interpellé par le vécu des participants à nos groupes quant à la notion du plaisir. Le rapport au plaisir est bien évidemment quelque chose d'individuel et qui trouve ses racines dans la manière dont le Sujet a pu le ressentir, le dire et le vivre dans son enfance au sein de sa famille. C'est une lente construction individuelle…
Dans l'éducation judéo-chrétienne (et dans bien d'autres ; je ne veux pas jeter la pierre à Jésus, Dieu m'en garde), il est davantage question de devoir faire plaisir à l'autre plutôt que de s'autoriser à prendre du plaisir pour soi. A travers les différents récits de vie, les récits d'enfance de nos participants, il m'apparaît assez clairement que les traces de l'éducation reçue sous cette forme ne se diluent que rarement dans leur vie d'adulte. Constat pessimiste ? Peut-être mais qui s'appuie sur l'écoute des participants lors des différentes étapes de la formation.
Cela commence lors de la première présentation de soi au groupe. Rarement une personne se présente spontanément en terme de plaisir ou avec des mots doux. Cette présentation reste souvent fonctionnelle et sur la défensive. Aussi, puisque le rôle du formateur consiste à mettre l'autre en questionnement, je n'hésite plus à demander aux participants, d'emblée, lors de la présentation, de nommer une de ses qualités principales. Quel choc ! Quelle difficulté ! Parler de soi en termes aimants, caressants, devant l'autre ? Vous n'y pensez pas... :
« Mais vous avez certainement des qualités en vous, Madame, Monsieur, il n'y a pas de raison que vous n'en ayez pas, ce n'est pas possible », « Non, je vous assure, j'ai beau chercher, je ne vois pas. »...
Trop souvent, on croit que parler de ce qu'on fait de bien n'est pas décent ; c'est de l'égocentrisme ou pire encore de l'égoïsme. Quelle confusion !
Notre travail est assurément de relancer la mécanique de l'estime de soi qui est souvent en rade. En panne des sens... dans le sens où je ne ressens plus le bon à l'intérieur de moi. Quel plaisir lors de l'évaluation quand une participante dit tout simplement avec son délicieux accent liégeois, cet accent du cœur : « J'ai eu bon aujourd'hui ». Quel plaisir pour moi, formateur, de constater que quelque chose s'est ouvert, c'est « re-formater ». Amener une personne à apprendre à s'écouter, c'est certainement l'inviter à nommer le bon en elle, ses qualités et ses valeurs. Cet exercice, je le pratique presque à chaque fois car c'est la voie royale afin de réveiller « son petit applaudimètre intérieur », pour retrouver l'estime de soi et enfin pouvoir rouvrir les portes blindées du plaisir. Au fond de moi, je crois intimement que le carburant essentiel du plaisir c'est l'estime de soi qui permet de répondre au besoin de reconnaissance, besoin vital et non désir que nous avons tendance à vouloir combler essentiellement à travers la reconnaissance de l'autre et si peu à partir de la reconnaissance de soi à soi.
Souvent, les personnes qui disent être déçues en cours de formation sont celles qui attendent tout de l'autre - et notamment des formateurs - et qui ont les difficultés que je viens de décrire. Notre traditionnel tour de météo intérieure est un moyen d'inviter chacun à parler de soi et de ce qui lui fait plaisir ou non, de livrer au groupe sa carte intime du temps, de parler de son soleil, de sa chaleur ou de sa pluviosité. Un travail plus spécifique sur base de questions telles que : « Quand et comment je prends du plaisir dans ma vie professionnelle et dans ma vie privée ? », « Dans ma famille, quel rapport avons-nous au plaisir ? Quels sont nos souvenirs de plaisir d'enfance ? » peut amorcer une prise de conscience et un retour plus positif sur soi. Un exercice sur les possibilités de ressourcement dont dispose chacun est un autre outil qui s'avère concret et révélateur afin de distinguer les moyens avec lesquels chacun organise sa vie professionnelle, extra-professionnelle, ferme ou non son «volet» en fin de journée et arrive à gérer son stress.
Prendre le temps individuellement lors des différentes sessions et évaluations permet au formateur d'écouter comment chaque participant chemine dans son rapport au plaisir. C'est un travail merveilleux de pouvoir réveiller ou révéler cela chez nos participants. C'est là où, à chaque fois, j'ai la douce impression que notre manière de travailler insuffle une dose massive de vitamines au groupe. Le grand bénéficiaire dans tout cela ? Le participant bien sûr, le formateur évidemment mais surtout le patient qui va retrouver demain un ou une professionnelle requinqué(e), ouvert(e) dans la relation, présent(e) à lui... juste pour le plaisir.
Dimitri Haikin