Professeur des écoles en maternelle, mon expérience m'a amené à réfléchir sur les causes, les conséquences de la perte de l'autorité dans l'enseignement. J'essaye de montrer la nécessité de redonner un cadre structurant aux enfants et de réfléchir aux moyens à mettre en place.
En classe de moyenne et grande section, mes élèves ont entre 4 et 6 ans. Je travaille au centre ville d'une commune de l'Ouest parisien, dans un milieu bourgeois. Les parents des enfants qui fréquentent cette école sont, pour la plupart, des cadres supérieurs, des officiers de carrière ou des professions libérales. Néanmoins, j'ai constaté, ces quatre dernières années, une dégradation du comportement des enfants. Davantage d'enfants ne respectent ni les règles de vie (ils sortent en cour de récréation sans avis de l'enseignant, à toute heure de la journée...), ni les lieux, ni les objets (certains enfants s'amusent à jeter des cailloux sur les voitures du parking d'à côté, font des trous dans les murs à coups de pieds, d'autres se servent dans les placards de la collation sans demander...) et encore moins les adultes ou leurs camarades (certains nous toisent en faisant le contraire de ce qu'on vient de leur demander avec une ostensible défiance). Petits délits pour petits enfants... si la progression continue y aura-t-il grands délits pour ces enfants devenus grands ?
Des difficultés à respecter le cadre
J'évalue actuellement à 95 % de mon temps employé à poser le cadre pour ces enfants au comportement difficile. J'estime la proportion des enfants ne respectant pas le cadre à 30 % des effectifs. Devant ce manque de respect du cadre, j'en viens à faire un travail pédagogique permanent sur le respect des règles, sur leurs sens, avec rappels, écrits, explication du sens et de la valeur des sanctions pour chaque règle, voire avec des contrats individualisés... Néanmoins, tous les jours, toutes les séquences lors de tous les mouvements de groupes, presque tous les instants de classe, font l'objet d'un rappel à l'ordre, qui prend du temps et de l'énergie avec sanctions éventuelles créant un climat de tension. Si j'obtiens des résultats, ils ne durent que quelques dizaines de minutes et permettent seulement d'aller péniblement au bout d'une activité d'enseignement déjà très retardée par les
remises en place. Je constate que ces efforts de restructuration n'ont pas d'effets à long terme. En effet, toute l'année les mêmes manques de respect se représentent pour les mêmes enfants. Je constate aussi qu'au dehors du bénéfice ponctuel (activité pédagogique menée à bout, péniblement et malgré tout très freinée), mes efforts de recadrage n'apportent pas de bénéfice éducatif. En effet ils n'améliorent pas notablement le comportement de ces enfants.
Les possibles raisons d’une telle situation
Je me suis demandée, comme beaucoup de mes collègues, pourquoi et comment nous en sommes arrivés là ? Voici quelques-unes de mes hypothèses :
> Le débordement permanent de ces enfants est témoin, soit d'une souffrance, soit d'un manque de structure (ou les deux). Et si la structure apportée par l'école est inefficace, c'est qu'elle ne vient pas en relais de la structure de base qui devrait être apportée initialement par les parents. Comment un cadre, qui ne serait pas mis en place à la maison, aurait-il du sens à l'école ? Une évidence apparaît : c'est un non-sens pour les enfants que ce cadre, devant être porté par les parents (le père), le soit par
une institution (fonction mère) au travers des enseignantes (très grande proportion féminine). Pour qu'un enfant soit respectueux d'une autorité (cadre référent commun à tous et indiscutable), il faudrait qu'il y ait une prévalence de l'action des parents par rapport à celle des enseignants !
> Malheureusement, je me demande si nous ne souffrons pas de séquelles
post-soixante-huitardes où il y a souvent amalgame entre autorité et autoritarisme. On constate un abandon chez beaucoup d'éducateurs et, en particulier, chez certains parents, de tout comportement autoritaire qui
pose un cadre clair et référent. Cette autorité étant défaillante, elle n'apporte pas son côté structurant. Le slogan de 68
il est interdit d'interdire est-il encore pertinent dans notre société d'aujourd'hui ? Le comportement de ces enfants montre une quête éperdue de structures et, accaparés par cette recherche qui les mobilise, ils sont très peu disponibles pour les apprentissages.
> L'attitude générale de
consommateur dans notre société se montre également pour certains parents à l'égard de l'école. Ils en viennent à être de moins en moins respectueux de l'institution et des enseignants (dénigrement des enseignants et de leur rôle). Ils montrent peu d'engagement personnel dans les processus d'apprentissage (pas de relais au niveau des investissements scolaires, pas de concertation, pas de participation active). Pour autant, l'attente est grandissante dans les résultats scolaires ! Comment l'enfant peut-il respecter une institution à laquelle les parents n'attribuent aucune valeur de socialisation ?
> Certains parents s'en remettent à l'école pour endiguer le comportement débordant de leurs enfants qu'ils n'arrivent pas à gérer eux-mêmes. La plupart ont une attente quant à la structuration du comportement de leurs enfants. L'institution, elle-même, demande aux enseignants de
porter l'autorité. Mais, ni les parents ni l'institution n'en donnent les moyens aux enseignants. Ce sont les parents des enfants les plus débordants qui refusent les sanctions quelles qu'elles soient. L'institution apparaît, de fait, très frileuse quant aux sanctions à mettre en place en cas de problème de comportement et défend peu les enseignants en cas de litige avec les parents. Les instructions officielles restent floues pour définir les moyens de porter le cadre.
Un problème de société
Tous ces aspects montrent à quel point notre travail d'enseignement devient difficile et crée de réelles souffrances dans notre profession, chez certains parents et chez la plupart des enfants. Pour porter l'autorité auprès des élèves et mener à bien cette mission non dite, non vraiment reconnue, bien qu'implicitement attendue, il faudrait réduire notablement les effectifs, obtenir le soutien des parents et de la hiérarchie dans l'utilisation des sanctions. Ce serait là une véritable reconnaissance de notre métier. Mais avant tout, il faudrait une grande prise de conscience du rôle primordial des parents dans l'éducation des enfants. Dans le cadre de l'école dans laquelle j'exerce, j'ai proposé, cette année, une concertation parents-enseignants sur ce sujet, à laquelle les parents ont été très sensibles. Mais, au-delà de cette concertation, il est apparu une réelle demande de groupe de paroles pour parents, à l'initiative même de parents qui sont en souffrance dans leur rôle de parent, parfois en constat d'échec... Il s'agit donc bien d'un débat qui dépasse le cadre de l'école et qui devient un problème de société.
Marie-Aude Barette