« Je me suis mise au point de croix quand j’ai voulu arrêter de fumer : ça fait trois ans que je n’ai pas repris une cigarette ! »… Pourquoi ne pas inscrire de tels témoignages positifs sur les paquets de cigarettes en lieu et place ou en complémentarité du désormais célèbre « Fumer tue » ?
En Asie Centrale ont été retrouvées, vers 850 de notre ère, de nombreuses traces indiquant que cette pratique est très ancienne. À l’époque des Croisades, l’Occident découvre les tapis et les broderies orientales. Ces nouveaux décors aux couleurs éclatantes inspirent les châtelaines : elles calment leur angoisse d’abandon en copiant au point de croix les motifs des tapis que leur époux leur rapporte entre deux Croisades. Mais c’est à la Renaissance que le modeste point de croix se répand dans l’Europe entière et se démocratise. Il devient incontournable à l’éducation de la femme. Il orne les trousseaux et les identifie. D’ailleurs l’Église encourage d’autant plus cette pratique que ce point est utilisé dans la confection des ornements liturgiques. Vers 1500, grâce à Gutenberg et à l’imprimerie, les premiers schémas imprimés venant essentiellement d’Allemagne et d’Italie commencent à circuler. En 1586 est publié « La clef des champs », un livret contenant des motifs de fleurs et d’animaux stylisés.
Apogée et disparition
Au XVIIème siècle, de nouveaux colorants naturels, économiques et faciles à utiliser permettent de teindre les fils en rouge. Toutes les broderies au point de croix deviennent alors rouges sur fond blanc. Au XVIIIème, les dessins s’affinent et se compliquent, moins stylisés mais plus réalistes. Et dans la deuxième moitié du siècle les premiers paysages apparaissent. Au XIXème, favorisé par le développement de l’industrie textile et de la diffusion des journaux féminins, et surtout des schémas colorés à la main sur une base quadrillée, le point de croix devient la passion du siècle. Il est enseigné dans les écoles et se révèle le passe-temps favori des femmes de tous âges et de toutes classes. Les fillettes apprennent à lire et à écrire en brodant des abécédaires. Pourtant, le point de croix disparaît soudain des trousseaux et des salons pour ne plus exister que dans les écoles pour encore quelques années. Les femmes lui préfèrent d’autres points plus libres qui permettent de copier les volutes et les fioritures des motifs Liberty. Elles se découvrent un nouvel engouement pour la broderie blanche qui durera jusqu’à la deuxième guerre mondiale. À la libération, la femme s’engage dans les grandes luttes du siècle. Elle obtient le droit de vote, sort de ses fourneaux, accède à une indépendance professionnelle. Elle n’a plus le temps ni l’envie de broder, associant plus ou moins consciemment cette activité à une aliénation.
Les années 80 et le retour en force
Après avoir dépensé beaucoup d’énergie à se libérer jusqu’à en devenir une caricature d’homme, comme le chante avec beaucoup d’humour Michel Sardou dans « Femmes des années 80 », la gent féminine se recentre sur sa féminité et le point de croix renaît de ses cendres. L’acte de broder n’est plus synonyme de passivité mais prend un sens nouveau. De nombreux magazines de couture et broderies en témoignent. Il existe des sites Internet où l’on peut échanger, créer, à partir de cette technique millénaire. C’est le retour en force du point de croix qui permet d’apaiser le stress, d’apprendre à se concentrer, à faire toujours mieux et plus beau. Cette activité redonne tous ses droits à la spécificité féminine débarrassée de son complexe d’infériorité. Le féminisme pur et dur s’étant essoufflé, lassée de vouloir prendre la place de l’homme, la femme redécouvre ses qualités innées de patience et d’esthétisme, ainsi que le plaisir lié à la pratique du point de croix. L’activité n’est plus vieux jeu mais, au contraire, suscite de plus en plus d’adeptes. Alors, si vous n’avez jamais touché une aiguille et que ça vous démange, n’hésitez plus ! Il existe des kits prêts à l’emploi. Commencez par un motif simple et pas trop grand. Sachez que la tendance est au point de croix coloré, gai. On le mélange parfois avec des perles. Et puis c’est l’occasion de communiquer avec nos mamies qui ont certainement beaucoup de choses à nous dire ! De quoi ne plus faire de
croix sur ce que les générations qui nous ont précédés ont à nous transmettre. Histoire de continuer à humaniser le monde à notre tour en y mettant notre différence de femmes d’aujourd’hui.
Frédérique Sobre
