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La psycho
dans Signes & sens
Igor a volé chez un disquaire, Noémie pique dans les magasins, Léa a avalé des cachets, Frank a foncé dans un talus. Ils ont 16 ou 20 ans. Chacun d'eux traverse une crise familiale et personnelle aiguë ou larvée. Ils sont mal dans leur peau et ne savent plus à quoi sert leur existence. Enfermés dans la prison étroite de leur lourd quotidien, ils butent sur leur vie comme l'abeille sur la vitre, obstinément, tant ils sont persuadés qu'il existe un passage possible vers autre chose. Longtemps spécialisée dans le domaine de la délinquance juvénile, c’est en hommage aux adolescents en détresse que je veux explorer la confiance en soi. Ils connaissent la difficulté existentielle la plus dure : le doute au droit d'exister. Le droit à être soi. Ils ne sont pas persuadés d'avoir la légitimité de vivre. C'est par le versant abrupt de ces désespoirs ordinaires que je veux explorer la confiance en soi. Quelle est cette force intime qui permet d'affronter les crises et les écueils de la vie sans s'effondrer, qui donne envie d'aller de l'avant, d'aller vers les autres et de trouver son chemin d'humanité ? Comment retrouver en soi la confiance que les parents ont enfouie pendant l'enfance. Vétilles ou trésors, carences ou cadeaux, comment réveiller l'amour parental perdu et comment le créer s'il a fait défaut ?
Comment surmonter le doute sur sa légitimité à vivre ? C'est le pari de l'adolescence ordinaire. Mal dans son âge, dans sa peau, dans sa famille, nombre d'adolescents traversent les années de mue en prospectant au-delà des marges parentales vers le social proche. Bousculant codes et règlements, ils défient les cadres et les lois. D'autres entament la traversée en solitaire, cherchant leur voie dans les divers écrans ou produits à leur portée. Explosions ou implosions, nombreux sont les incidents de parcours ; longue, de plus en plus longue, est la route qui mène à la maturité. L'adolescence, c'est l'âge ingrat pour tous, l'âge de la quête identitaire, celui des expérimentations et des explorations. En fait, extravagances et incivilités sont là pour permettre à chacun d'expérimenter ses capacités à faire avec soi-même et avec les autres. Un long et laborieux entraînement à la perte. Celle de l'enfance, celle du soutien inconditionnel des parents, celle de la toute-puissance. Une équipée solitaire vers les enjeux de la vie adulte. Briser les amarres de l'enfance. Familiales et sociales, les règles sont remises en question. En refusant de plier aux coutumes et aux habitudes, les adolescents interrogent la propriété, l'appartenance, la filiation, le partage. Autrement dit, ils mettent en question la dimension symbolique de leur place dans la société et dans leur famille. Beaucoup d'éducateurs et de cliniciens en témoignent, par la révolte ou le désespoir, ce que recherchent certains jeunes, c'est la limite. Le cadre qui donnera forme et sens à leur existence. Ils invitent dans leur danse violente, le policier, le juge ou le médecin, le psy ; ils somment leurs parents et la société de leur répondre sur le sens et la valeur de la vie. Dans le meilleur des cas, la transgression, en révélant l'interdit, fera agir la société et la justice. Quant à la prise de risque, en révélant le danger, elle réveillera le souci parental, la tendresse oubliée, la confiance perdue. Autrement dit, derrière la loi ou à travers la mort, c'est la Loi qui est interrogée. La loi symbolique. L'instance signifiante qui répond de la place de chacun et de la régulation des pulsions de tous. La loi de la vie qui nous donne à chacun le droit d'être.
Détruire la vie
Pourquoi les adolescents en doutent-ils ? Pourquoi certains d'entre eux vont-ils jusqu'à détruire la vie qui ne semble pas vouloir d'eux ? La confiance en soi, n'est-ce pas la confiance dans son droit à vivre et dans sa capacité à vivre ? La vulnérabilité intime prend sa source dans l'histoire familiale, inscrite souvent depuis plusieurs générations ; elle a souvent aussi été relayée par l'école, rétrécissant les chances d'intégration de l'enfant au modèle culturel et social ambiant. Marquée par la pauvreté culturelle et par la précarité économique, toute l'éducation du jeune est souvent carencée. Véritable parcours du combattant, son développement rencontrera de multiples difficultés conduisant à la consommation abusive de produits dangereux. Comment apprendre à être soi-même sans se cogner aux autres et... à soi-même ? Ce que les jeunes délinquants nous apprennent, c'est combien l'environnement familial et social est important pour développer son sentiment d'appartenir au monde. La sécurité de base qui est nécessaire à l'enfant, pour faire ses premiers pas, est sollicitée par l'adolescent pour s'aventurer en dehors de sa famille. Pour assumer sa propre violence et affronter celle des autres, il lui faudra compter sur l'armature intime fondée en lui par ses parents. Celui qui doute de la solidité de sa structure personnelle ne pourra tracer son chemin à travers les aléas de son existence sans se couler dans les moules et les modèles standards proposés par la société. Seule la confiance en soi lui donnera la force de choisir son chemin.
Créer la confiance
Comment construire cette confiance manquante ? Melanie Klein et Winnicott nous ont donné des pistes : le jeu et la réparation. Le jeu permet d'explorer l'impossible, use la peur et la violence, élabore les affects, transforme le rapport à la réalité. La réparation, lorsqu'elle s'étaye sur des fantasmes réparateurs, consolide la confiance manquante. Jouer, réparer. Créer la vie qui manque. Prendre pied dans la réalité sans la craindre, oser prendre place dans l'humanité. En travaillant avec les adolescents et les jeunes délinquants, j'ai vu le long travail de construction psychique mis en place par les équipes éducatives lorsqu'elles mènent des mesures de réparation pénale. J'ai vu poindre et se développer les bribes de confiance que la réparation, la création et la responsabilité, faisaient naître et renforçaient. Sarah qui vivait voûtée, le visage dissimulé par ses cheveux, a relevé la tête à la fin de son stage à la maison de retraite où elle avait rencontré des petits vieux et s'était sentie utile. Jérémy a pris plusieurs centimètres l'été où il a aidé au centre social. Tous les deux, et tous ceux qui ont la chance de bénéficier d'une mesure de réparation, ont acquis, dans la relation éducative et dans le temps du don et de l'échange, une autre image d'eux-mêmes. La confiance, que leur a donné la démarche de réparation, est venue relayer celle qui leur faisait défaut. L'angoisse d'exister, le doute sur la validité de leur place dans la vie, la fragilité de leurs liens sociaux les avaient dirigés vers le trouble social, la délinquance, la révolte. Le sourd désespoir qu'on appelle la violence. En réparant, en faisant réparation à quelqu'un, ils ont regagné un peu de cette confiance dans la vie qui leur faisait défaut. Ce que l'éducation spécialisée tente de mettre en place pour les jeunes délinquants, nous pouvons le faire pour tous. Restaurer la confiance manquante en faisant réparation à d'autres de ce qui est abîmé en nous. La solidarité, le don, l'échange, comme la création, peuvent nous redonner le goût de vivre et d'oser, en nous donnant le droit de le faire. Réveiller ou faire naître la confiance en soi, en réparant la vie.
Maryse Vaillant
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