Quelle est l’attitude de base à développer pour ne pas être victime ni de sa vie ni de ses enfants ? En travaillant auprès de parents en difficulté, on s’aperçoit que ces personnes qui, sur le plan affectif, ont de bonnes relations avec leurs enfants ont perdu confiance en leur capacité de prendre de bonnes décisions par rapport à ceux-ci. Elles ne savent plus comment se situer dans leur rôle d’éducateur. « Dois-je interdire ou permettre, et jusqu’où aller ? Comment communiquer avec mon ado ? Comment l’empêcher de gâcher sa vie ? »…
Les parents ont de la difficulté à suivre les changements souvent brusques qui surviennent chez leur enfant. En quelques semaines, ce dernier peut passer d’une attitude de relative soumission à une attitude de pure révolte. Les parents passent eux-mêmes de la compréhension patiente à l’exaspération. En fait, ils vivent de l’insécurité. Leurs jeunes leur font traverser des situations imprévues requérant des solutions qu’il leur faut en quelque sorte inventer.
Le sentiment d’impuissance
Dans de telles circonstances, certains parents ont tendance à devenir plus rigides afin de contrer les échappées de liberté de leur jeune. D’autres cèdent à la moindre pression pour éviter les disputes. Plusieurs se sentent coupables des difficultés de leur adolescent tandis que d’autres se déresponsabilisent et ne voient pas de lien entre ce que vit leur jeune et leurs propres attitudes. Pour tous ces parents, l’éducation à cette période semble un fardeau, un tunnel sans lumière et certains comptent presque les jours qui les séparent de la fin de l’adolescence de leur enfant.
Si vous éprouvez de tels sentiments, il se peut que le mot impuissance décrive bien votre état. Vous n’avez plus d’emprise sur votre propre situation et vous ne savez plus où donner de la tête. Si vous croyez vraiment que vous n’avez plus ni balises ni pouvoir, vous en concluez peut-être que vous n’avez d’autre choix que de subir votre rôle de parent. Vous vous sentez alors victime de votre enfant. Et vous ne voyez plus quelle direction prendre pour sortir de cette impasse. Pour trouver ou retrouver cette direction, faisons l’expérience de jongler avec trois notions fondamentales : responsabilité, pouvoir, choix. Ce sont trois mots-clés pour celui ou celle qui ne veut plus être un parent victime, mais bien une personne à part entière qui se donne les conditions pour mener une vie satisfaisante. Il y a là toute la différence entre subir son rôle de parent et le vivre avec le sentiment de se réaliser.
Se sentir responsable
Chacun est le premier responsable de la façon de mener sa vie. Or, lorsque nous sommes en difficulté, nous avons souvent tendance à sous-estimer nos capacités à bien la mener. Alors, nous n’avons plus conscience de cette responsabilité. Le sentiment d’être mené par l’existence l’emporte sur celui de la diriger. Nous sommes portés à oublier que nous sommes responsables :
• de ce que nous faisons ;
• de ce que nous ne faisons pas ;
• de ce que nous disons ;
• de ce que nous taisons.
Nombreux sont ceux qui, de façon inconsciente, vivent comme s’ils étaient victimes des événements et des personnes qu’ils côtoient, comme s’ils n’avaient aucun pouvoir de réagir. Dans ce nombre, il y a des parents d’adolescents qui se voient souvent en spectateurs impuissants : mon jeune est impoli, il est menteur, il ne respecte pas d’horaire, il vole, il m’envoie promener, etc. Le parent se sent démuni et ne voit plus quelle emprise il peut se donner dans une telle situation.
L’enjeu ici, c’est d’arriver à voir la vie de famille comme une pièce de théâtre où chacun a son rôle à jouer. Pour qu’un acteur puisse jouer son rôle, il faut qu’un autre lui donne la réplique, et lui soit complémentaire. Il faut qu’il y ait une connivence entre eux pour que la pièce ait un sens.
Se sentir responsable, c’est donc prendre conscience du fait que nous tenons un rôle dans une pièce de théâtre, que nous sommes partie prenante de ce qui s’y passe, de l’action qui s’y déroule et de la manière dont elle se déroule. Tenir le rôle de parent dans une pièce de théâtre, c’est se rappeler que nous avons une position déterminante en ce qui a trait aux normes et aux règles de conduite. Sur un bateau, on peut considérer que tous les membres de l’équipage ont la même dignité et ont droit au même respect mais ils n’ont pas tous une fonction identique. Le capitaine ne joue pas le même rôle que le matelot. Il en est de même dans la famille et au théâtre.
En reconnaissant que nous avons autorité sur notre vie, nous ne nous chargeons pas d’un fardeau de plus sur les épaules. Bien au contraire, cela est porteur d’espoir. En effet, si nous reconnaissons que nous avons une maîtrise possible de notre existence, nous admettons que nous avons le pouvoir d’y faire quelque chose. Si nous sommes un acteur et non seulement un spectateur, nous participons au déroulement de la pièce et pouvons changer notre réplique pour que l’autre acteur change la sienne si la situation présente ne nous convient plus. Nous sommes donc l’auteur de notre réplique, capable de la modifier si nous voulons changer la tournure de l’histoire. Si nous vivons des difficultés avec notre jeune, nous avons à nous demander quelle est notre contribution dans la répétition de la situation. Plusieurs parents diront : C’est ma faute si mon ado a des problèmes… Ils sont prêts à se comporter en parents coupables et à vouloir tout faire pour se faire pardonner. Le sentiment de culpabilité amène souvent à prendre toute la responsabilité. Or, être responsable, c’est reconnaître notre participation, être prêt à changer ce qui relève de nous et à réparer les dégâts, dans la mesure du raisonnable. C’est aussi laisser aux autres la part qui leur revient.
Michel Delagrave*
* Pour en savoir plus, lire :
« Ados : mode d’emploi »,
Éditions Hôpital Sainte-Justine
Être ferme sans être rigide
Plusieurs parents confondent fermeté et rigidité dans l’application des règles. On peut pardonner un ou deux écarts, mais pas dix ! C’est tout un art que celui d’arriver à démêler ces deux attitudes fort différentes ; pour y arriver, on fonctionne par essais et erreurs...