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La psycho
dans Signes & sens
La perfection existe-t-elle
vraiment ?
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Certains prétendent que “Non, la perfection n’existe pas !”. Comme le bonheur, elle resterait une illusion après laquelle on courrait inlassablement sans jamais l’attraper. En définitive, chacun porterait son lot quotidien de chimères, de défauts et de remords, au fil des péripéties que la vie nous offre à vivre.
Et si, pour une fois, nous faisions le pari que… oui, la perfection existe ! La relation entre la perfection et l’Art est généralement admise. Le trait de génie de Einstein, les représentations de Léonard de Vinci, le talent de Mozart, sont réputés pour être des manifestations créatives inégalées, souvent spontanées, quelles soient esthétiques, intellectuelles ou sensibles. Leur caractère instantané peut alors devenir le point d’ancrage d’une réflexion plus globale.
En apprentissage continu
Pour se révéler, l’expression spontanée a besoin de reposer sur un minimum de compétences, de savoir, de savoir-faire et de savoir-être. L’apprentissage nous est donc nécessaire pour développer cet instinct du mot, de l’idée ou du geste pur. Cette éducation découle de notre évolution psychocorporelle qui vise l’éveil de notre conscience et l’épanouissement de notre personne. C’est sans doute pour cela que nous associons facilement l’idée de perfection à celle du bonheur. À notre naissance, nous distinguons mal les informations perçues et avons peu conscience de nous-mêmes. Notre ego prend forme peu à peu par un savant mélange d’expériences de béatitude et de frustration. Nous apprenons à discerner nos émotions par la mise en mots de nos parents de qui nous sommes totalement dépendants. Puis nous cherchons à prendre le pouvoir, à maîtriser notre corps et notre entourage. Nous commençons à nous affirmer, à dire « non ». Notre compréhension s’affinant, nous reconnaissons la particularité de la relation qu’entretiennent nos parents. Exclu de leur complicité, nous nous intéressons un peu plus à notre intimité corporelle et à la sexualité en général. Nous élaborons des théories de toutes sortes. Nous nous questionnons sur notre histoire et sur celle de l’Homme.
Avec l’entrée dans la scolarité, nous nous détournons naturellement de la question sexuelle pour nous orienter davantage sur celle de nos différents savoirs. Mais très vite notre corps se transforme. C’est l’adolescence qui se profile. Un bouleversement physique et physiologique bouscule alors l’ensemble des interrogations laissées en suspens jusque-là. Nous remettons en cause nos valeurs, notre environnement et notre représentation du monde. Nous cherchons activement à savoir qui nous sommes. Comme tout semble possible, nos idéaux sont foisons. Ballotté entre un désir d’autonomie et une quête de confort affectif, notre souffrance est bien réelle lorsque nous nous voyons acculés par des restrictions ou des exigences.
Adulte, nous apprenons à considérer l’ensemble des réalités contingentes du quotidien. Nous négocions avec nous-mêmes et avec autrui à longueur de temps. Nous endossons des responsabilités grandissantes et nous confrontons à nos limitations ainsi qu’à l’idée de notre “ finitude ”. En effet, à ce stade, la vieillesse fait résonner le glas de la mort de plus en plus fort et nous incite à faire le grand bilan de notre vie. Le corps devient douloureux, encombrant et envahissant par le handicap qu’il nous inflige. La solitude se fait reine à l’heure où le départ de nos amis et de nos parents devient rituel. Seuls le bonheur de transmettre à nos enfants le savoir accumulé et la constante satisfaction d’avoir bien vécu viennent réconforter et apaiser le quotidien. À ce moment de notre vie, l’avenir et le passé cèdent pleinement leur place au moment présent, pour le meilleur et le plus souvent pour le pire car rares sont ceux qui s’y sont préparés…
Se remettre en question
Cette progression que chacun suit constitue une référence dans l’acquisition de son autonomie et dans la conscience de Soi. Le but premier est notre survie (manger, boire, avoir chaud), puis notre maturation psychoaffective (être entouré et aimé), notre socialisation (devenir un citoyen à part entière), notre utilité (étudier, travailler) et finalement notre bonheur par notre réalisation. Or, sur ce chemin, les pièges sont nombreux. Si nous sommes aidés par nos parents dès notre plus jeune âge, nous sommes très vite confrontés à la nécessité de comprendre notre environnement par nous-mêmes et de prendre, en conséquence, des décisions cohérentes. Le doute et la culpabilité de mal faire nous tiraillent très tôt et handicapent notre capacité à faire évoluer nos observations, notre réflexion et nos initiatives. Nos exigences, à la base de chacun de nos apprentissages, deviennent le creuset de nos peurs et l’aliment de nos échecs. Les “ il faut ” ou “ je dois ” tyrannisent nos pensées et nos agissements, réduisant à néant tous nos efforts.
Si le deuil de nos illusions et de nos exigences infondées est nécessaire à la prévention de nos écueils et à notre adaptation, l’endurance et la pugnacité restent des outils incontournables. La remise en question est inéluctable pour différencier ce qui est de l’ordre du paraître, de ce qui est de notre véritable identité. C’est-à-dire ce que nous sommes spontanément, au-delà des étiquettes sociales et des définitions toutes faites. Le discours intellectuel a pour travers de savoir et de décrire le monde sous l’angle de la dualité, du bon au mauvais, du bien au mal, oubliant toute la palette de connotations qualitatives et quantitatives : la nature de l’Être réside dans le vécu et non dans l’avoir.
En réalité, chaque chose est comprise dans un cycle de vie et reste interdépendante de son environnement. Chaque nouvelle expérience vient bouleverser nos repères antérieurs. Chaque changement fait ricochet, de proche en proche, sur l’ensemble du monde. Rien ne peut être figé dans une définition immuable. Le plus grand deuil que chacun a à comprendre et traverser est celui de croire pouvoir saisir et définir une chose parfaitement. Peut-être est-ce à ce moment-là que la perfection se manifeste : durant ce court laps de temps où tout désir de maîtriser et de posséder quelque chose cède la place à une confiance ouverte et bienveillante sur le monde : tel qu’il est et tels que nous sommes, dans l’ici et maintenant, sans attente, ni crainte.
Delphine de Préville
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